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Marina Pastor, artiste plurielle.

Le parcours de Marina Pastor, comédienne et actrice, se caractérise par la diversité et la richesse de ses rôles, aussi bien au cinéma qu’à la télévision. Elle se fait remarquer dans Une semaine sur deux (et la moitié des vacances scolaires) d’Ivan Calbérac, et dans la série culte Bref, où elle incarne la mère de Kyan Khojandi. Plus récemment, elle a interprété le rôle de la mère d’Édouard Louis dans Combats et métamorphoses d’une femme, une œuvre poignante qui explore la transformation d’une femme confrontée aux violences liées à sa condition sociale.

En parallèle de sa carrière d’actrice, Marina Pastor est également scénariste et productrice.

 

 Votre carrière est marquée par une grande diversité de rôles. Qu’est ce qui guide voix choix artistiques ? 

Les choix artistiques pour une comédienne sont synonymes de rencontres, avec des auteurs, des metteurs en scènes, des univers différents.
Pour ma part, la rencontre la plus importante est celle que je tisse avec mon personnage, tout ce que je lui prête de moi, cet échange imaginaire qui ressemble à un acte d’amour. Dans ma vie personnelle j’ai souvent été en lutte contre des injustices sociales entre autres et cela a sans doute nourri ma vie artistique. Il y a quelques années maintenant, j’ai joué dans 2 spectacles de Bertold Brecht qui ont enrichi la comédienne que je suis aujourd’hui et cette phrase de l’auteur résonne encore en moi : “ Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu “

 

Dans Combats et métamorphoses d’une femme vous incarnez la mère d’Edouard Louis. Comment avez-vous abordé ce rôle si intime et politique ?

Merci Naima de coller ensemble les mots “intime” et “politique” ! Cela résonne particulièrement et c’est l’essentiel des œuvres théâtrales qui m’ont marquée. 

J’ai adapté le roman d’Edouard Louis avec mon propre fils, Louis Pastor qui est lui aussi, sociologue/enseignant chercheur. Et cette création a été une aventure théâtrale et humaine très forte. J’ai donné vie et corps à Monique, femme au foyer, vivant dans une précarité absolue et dominée par les hommes. Ce qui m'a frappé chez elle, c'est sa vitalité, son appétit de vie, son humour.  Elle porte en elle un désir d’émancipation que les drames et les contraintes de la vie n’altèrent jamais. C’est cette force intérieure que je voulais avant tout montrer. Elle résiste, elle lutte et alors démarre une nouvelle vie ailleurs, loin de sa condition. A plus de 50 ans, si ce n’est pas un message d’espoir pour toutes les femmes ça ? 

Le rapport mère/fils intime que mon fils et moi avons livré au public à travers l’écriture d’Édouard Louis a constitué pour moi un grand vertige artistique.

Nous souhaitons d’ailleurs reprendre ce spectacle à Paris prochainement.

 Comment nourrissez-vous votre créativité au quotidien ?

J’essaie d’être attentive aux changements de société, les voir et les comprendre m'intéresse davantage que perdre pied, en fait je déteste les “c’était mieux avant” !
Oui, le jeu des comédiens par exemple, a changé, on ne joue plus comme il y a 50 ans.
Les outils ont aussi beaucoup évolué : le web, l’IA… mais je ne me sens pas dépassée, enfin pour le moment ;). Le rapport à l'identité de genre, ce que signifie être une femme, un homme, entre les deux, etc. tout cela me passionne, je lis beaucoup de contenus sur ces sujets.

Sinon je vais beaucoup au cinéma et au théâtre. Je vis à Paris et c’est une chance.
J’adore la photographie et les expos photo, c’est toujours très inspirant ces instantanés de vie qui captivent, font rêver ou vous révoltent. Les livres aussi ouvrent le champ de l’imaginaire et des possibles. Cependant, j’ai un rapport un peu contrarié et cyclique à la lecture et je trouve toujours que je ne lis pas suffisamment.
Et puis, la poésie est partout, sur mon vélo, à la terrasse d’un café, dans le regard d’une amie.

 

Y a-t-il un rôle que vous rêvez d’interpréter ?

Beaucoup de rôles…Il y a quelques années, alors que je jouais dans une adaptation de Charles Dickens, mon fils m’a dit une très jolie chose : “Miss Havisham, elle attendait quelque part que tu lui donnes vie”. J’y repense souvent et je me dis qu’il y a un endroit ou des personnages attendent leur moment de lumière !
J’espère avoir une multitude de rendez-vous avec des héroïnes encore dans l’ombre.
D’autre part je ne sais pas si vous avez remarquez mais après 50 ans les comédiennes développent un super pouvoir, elles disparaissent des écrans !
Je fais partie de l’AAFA – Tunnel de la comédienne de 50 ans, un collectif qui combat les stéréotypes sexistes liés à l’âge des femmes. Pour nous, il s’agit d’un véritable enjeu de société : faire évoluer les regards et la représentation des femmes vieillissantes.

 

Vous êtes également scénariste et productrice. Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer de l’interprétation à la création ? 

Être choisie et imaginée pour une création c’est le désir profond de toute comédienne et j’ai eu cette chance, avec des auteurs contemporains et aussi de grands metteurs en scène. 

Et puis certains compagnonnages artistiques ont pris fin de manière brutale pour moi, alors comme après une rupture amoureuse… il faut rebondir !
Écrire sa propre histoire, croire en son travail, le proposer, frapper aux bonnes portes, le partager et enfin le créer. Imaginer sur son canapé des situations, des personnages et quelques mois plus tard voir une équipe constituée et investie sur son projet est quelque chose d’un peu fou.  C’est comme passer du rêve à la réalité ou de la réalité au rêve ! 

Il n’y a rien de plus exaltant malgré les immenses angoisses que cela génère de suivre un projet de bout en bout. Oui ta création artistique, c’est ton enfant et ça, ce n’est pas une légende ! 

 

Y a-t-il une phrase, une citation, ou un enseignement qui vous accompagne dans votre parcours et vous inspire profondément ?
On nous inflige

Des désirs qui nous affligent

On nous prend faut pas déconner dès qu'on est né

Pour des cons alors qu'on est

Des Foules sentimentales

Avec soif d'idéal

Attirées par les étoiles, les voiles

Que des choses pas commerciales

Foule sentimentale

Il faut voir comme on nous parle
Comme on nous parle
Alain Souchon, Foule Sentimentale, 1993 

 

 

Hella Feki,

Une plume entre les rives.

Autrice, professeure de lettres et formatrice d’enseignants, Hella Feki explore dans ses romans les marges de l’histoire, les voix oubliées et les destins féminins. Après avoir marqué les esprits avec Noces de jasmin, lauréat du festival du premier roman de Chambéry en 2020, elle revient en 2025 avec Une reine sans royaume, un roman historique qui redonne vie à Ranavalona III, dernière reine de Madagascar, exilée à Alger après la colonisation de son pays.

 

Dans ce nouveau récit, la romancière mêle fiction biographique et mémoire coloniale pour faire entendre la voix d’une souveraine déchue, entre mélancolie, dignité et renaissance. À travers le prisme de l’exil, elle interroge les silences de l’histoire, les amours contrariées et la puissance des femmes dans des mondes qui les marginalisent.

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur Ranavalona III, et dans quelles circonstances avez-vous découvert ce personnage ? 

Je suis franco-tunisienne, d’un père tunisien et d’une mère française et j’ai grandi à Tunis jusqu’à mes 18 ans. Je suis ensuite venue m’installer en France où je suis devenue professeure de lettres et théâtre. J’ai eu la chance, grâce à mon métier d’aller enseigner quatre années à Madagascar, au lycée français de Tananarive. C’est un pays qui m’a profondément marquée, où j’ai écrit, d’ailleurs mon premier roman, Noces de jasmin. Cela fait quatre ans que je suis de retour en région parisienne, où j’enseigne.

Lors de mon séjour à Madagascar, je vivais en face du palais de la reine, situé sur la colline en face de ma maison. J’ai très vite nourri une fascination pour les reines de Madagascar, en particulier Ranavalona Première car elle avait repoussé les missionnaires chrétiens et les colons, consciente de ce que leur présence impliquait pour leur île, mais aussi Ranavalona III, en raison de son exil à Alger. J’ai visité le palais de Tananarive, le Rova Manjakamiadana, au sommet de la colline Analamanga, dominant la capitale.

Ce livre est né d’un hasard et d’une rencontre fortuite. De retour en région parisienne après ces quatre années de vie, j’avais décidé de passer quelques jours de vacances chez mes parents, dans le quartier de l’Ariana. Lors de ce retour, j’ai fait une visite de la Médina de Tunis avec des amis de Madagascar et un journaliste et écrivain reconnu en Tunisie, Hatem Bourial. C’est à ce moment-là qu’il m’a parlé d’un article qu’il avait écrit sur le séjour de la Reine Ranavalona III à Tunis. Il me l’a envoyé : y figurait une carte postale représentant la reine Ranavalona dans les champs de course de Ksar Saïd. A partir de ce moment-là, j’ai commencé à lire tout ce que je pouvais trouver sur elle, sans trouver aucune trace de son séjour à Tunis.

J’ai ensuite lu tout ce qui a trait à cette époque des Beys de Tunis, et c’est ainsi que j’ai découvert les personnages de Lella Beya Qmar et de la Princesse Nazli, puis de Myriam Harry. J’ai alors décidé de lire presque tous les récits de Myriam Harry, et c’est ainsi que j’ai eu la confirmation de la venue de Ranavalona III à Tunis. Myriam Harry et elle s’étaient rencontrées lors d’une gigantesque manifestation théâtrale dans l’amphithéâtre romain de Carthage. Une carte postale la représentant au milieu des ruines romains accompagnait le récit de Myriam Harry, avec une autre date, 1907.

 

J’avais un premier indice, une date, et c’est ainsi que j’ai commencé à fouiller dans la mémoire de mon pays, en allant dans les archives nationales de Tunisie, puis dans celles d’outre-mer à Aix-en-Provence. Il y avait quelques articles sur son séjour à Tunis, mais rien de très épais. C’est à ce moment-là que la fiction a pris le dessus et que j’ai imaginé ce qu’elle aurait pu vivre sur place.

Ranavalona III est une reine oubliée de l’Histoire, qui me touche par son visage si triste et en même temps sa grande notoriété à cette époque-là. Et surtout, j’avais quitté Madagascar et c’est elle qui me ramenait dans mon pays, la Tunisie.

 

Considérez-vous ce roman comme une forme de réparation mémorielle pour les femmes, souvent absentes de l’Histoire en général et de l’histoire coloniale en particulier ? 

Oui, bien sûr, ce roman est une forme de réparation mémorielle pour les femmes. Elles ont souvent été invisibilisées. Qui a écrit l’histoire coloniale ? Les hommes qui ont colonisé les terres. A partir de là, les femmes illustres des colonies, qui ont joué un rôle majeur pour certains combats, sont peu connues.

Ainsi, dans mon roman, dans un journal fictif tenu à l’orée de sa mort en 1917, Ranavalona raconte sa rencontre avec des souveraines orientales : Lella Beya Qmar, une odalisque circassienne offerte par le sultan de l’empire de Constantinople au Bey de Tunis, la princesse égyptienne Nazli, qui a fondé les premiers salons de pensée féminin et Myriam Harry, première lauréate du prix Femina parce que refusée par le Goncourt (parce que femme…).

Lella Beya Qmar est une odalisque circassienne qui avait été offerte par le sultan de Constantinople au Bey. Elle est arrivée en terre étrangère alors qu’elle n’avait que quatorze ans et a fait partie du harem de Sadok Bey, un homme âgé. A sa mort, elle a épousé son frère Ali Bey, vieillard également, dont elle a subi l’union charnelle  forcée. Au décès de ce dernier, elle a enfin contracté un mariage d’amour : Naceur Bey lui a fait d’ailleurs construire un palais, le fameux Ksar Essaada, à La Marsa.

En lisant sur ce personnage féminin, j’ai découvert la princesse égyptienne Nazli, qui a fondé les premiers salons littéraires de Tunis. Elle a vécu plusieurs années à Paris, puisqu’elle était l’épouse du grand ambassadeur Khalil Pacha, qui collectionnait les œuvres d’art et fréquentait Courbet et Ingres. Déjà érudite dans l’empire ottoman, ayant bénéficié d’une éducation élitiste et exigeante à Constantinople, elle a complété sa culture par la fréquentation des salons littéraires parisiens, qui lui ont inspiré ceux qu’elle a créés au Caire, après le décès de son époux. Par ses nombreux voyages en France, notamment pour les congrès d’Afrique du Nord, elle a rencontré le fils du grand Cheikh de la mosquée Ez-Zitouna, Khalil Bouhageb, alors politicien et membre de l’association démocratique de la Khaldounia.

Et c’est en lisant sur cette princesse que j’ai découvert son amitié avec Myriam Harry, écrivaine lauréate du prix Femina pour La Conquête de Jérusalem en 1904, grande journaliste installée à Tunis. C’est en me plongeant dans les œuvres de cette dernière sur Tunis, La Tunisie enchantée, Tunis la Blanche et Mon amie Lucie Delarue-Mardrus, que j’ai découvert sa rencontre avec la reine Ranavalona III lors de l’événement d’envergure organisé pour la réhabilitation de l’amphithéâtre romain de Carthage.

L’éloge des salons littéraires en Orient au vingtième siècle est donc un axe qui s’est imposé, et j’ai beaucoup lu sur tous ces personnages : des biographies, des articles, des ouvrages historiques. J’ai également lu les œuvres de Lucie Delarue-Mardrus, la grande dramaturge qui joue dans le spectacle pour la célébration de la réhabilitation des ruines de l’amphithéâtre romain de Carthage. J’aurais aimé donné une place plus importante à cette dernière, une grande féministe également, mais le roman ne s’y est pas prêté.

Quant à Ranavalona III, qui s’en souvient aujourd’hui en France ? Elle était pourtant célèbre dans les années 1900 et les foules l’attendaient partout sur les quais de Marseille, Paris, dans la finalité de voir la souveraine malgache. Elle faisait la Une des journaux ! Elle était invitée dans les hauts lieux : l’Opéra de Paris, l’Elysée, le Sénat, les grandes manifestations, partout, en France, y compris lors de ses voyages en province. Elle figurait également sur boîtes de Biscuit Lu. Marcel Proust l’évoque dans la Recherche du temps perdu, plus précisément dans A l’ombre des jeunes filles fleurs, comme une apparition mystérieuse sur laquelle tout le monde chuchote…

 

La Tunisie traverse aussi votre roman. Quel lien intime ou symbolique entretenez-vous avec votre pays d’origine ?

J’ai passé toute mon enfance à Tunis. Je suis franco-tunisienne, née de l’union d’une mère française et d’un père tunisien. Je garde les souvenirs d’une petite fille en permanence dehors, refusant de jouer à la poupée et à la dînette avec les voisines de la rue où je passais mes étés, à Sfax, chez mes grands-parents. Ma grand-mère ne comprenait pas que je préfère m’échapper avec mon frère et mes cousins. Moi, j’aimais monter sur les toits pour jouer au rami avec eux, jouer à Chat Perché dans la rue avec les autres petits garçons et faire du vélo. Avec du recul, je comprends ma grand-mère : elle avait été mariée à dix ans avec mon grand-père (qui avait alors 18 ans) et avait eu son premier enfant à treize ans. Elle n’avait connu que l’enfermement et les tâches ménagères. Pour elle, cela faisait partie du « devoir féminin » et mon attitude bouleversait les conventions et l’ordre patriarcal établi et accepté.

Chez mes parents, à Tunis, je jouissais d’une grande liberté de jeu : je montais dans les arbres, surtout dans mon grand caoutchouc où je dépliais des parapluies que je coinçais dans les branches pour me fabriquer des cabanes et des abris. Je ramassais également les cailloux du jardin, je les étiquetais « pierres précieuses ». Puis, je déplaçais une petite épicerie en bois que m’avait offerte mon père pour jouer, je plaçais les pierres dessus et je les vendais à la criée pour 10 millimes, ce qui faisaient rire tous les passants et les voisins. Lorsque je n’étais pas dehors, je passais aussi beaucoup de temps à lire, parfois dans mon caoutchouc, sous les parapluies.

Adolescente, je faisais du roller et je continuais à vouloir être dans la rue avec les garçons. Je crois que la liberté que j’avais, grâce à l’éducation de mes parents, mais aussi l’atmosphère du jeu dans les rue de Tunis, ont forgé mon caractère et mon esprit.

Le lien intime que j’entretiens avec la Tunisie, c’est cette enfance heureuse. C’est aussi le passage constant de la langue arabe à la langue française pour échanger tantôt avec mes cousins tantôt avec ma mère.

Le lien symbolique que j’entretiens avec la Tunisie, c’est aussi ce désir très profond de connaître davantage son Histoire, ses oublié(e)s, sa littérature, sa poésie, ses arts. J’ai très envie de reprendre la lecture en arabe. Cela me manque constamment. En quittant la terre de mon enfance à l’âge de dix huit ans, j’ai emporté avec moi la nostalgie de mon pays natal, peut-être par mimétisme puisque ma mère, elle, inconsciemment, nous a élevés avec sa propre nostalgie, celle de sa région d’origine…

 

Quelle place l’écriture occupe-t-elle dans votre vie, et quel rôle joue-t-elle dans votre rapport au monde ?

L’écriture occupe une place centrale dans ma vie, tout comme la littérature, et depuis toujours. J’ai toujours beaucoup lu, depuis l’enfance. J’écrivais beaucoup de comptines, dès que j’ai su écrire. Je fabriquais aussi des petits journaux avec mon frère lorsque nous étions petits. J’écrivais les histoires, les blagues, j’inventais des « pages de jeux », et mon frère tapait et mettait en forme le tout à l’ordinateur. A l’adolescence, j’ai tenu un journal intime. Puis, adulte, j’ai noirci des carnets de voyage lors de mes voyages avant de me décider à écrire des romans.

L’écriture joue un rôle fondamental dans mon rapport au monde, parce que la naissance de mes romans me font découvrir des univers inattendus, méconnus. En même temps que j’écris, j’explore le temps, des univers, des paysages, des auteurs que je relis ou découvre. Ecrire me permet d’être là où les lignes me conduisent, tout en restant dans l’espace intime où je compose. Une fois les romans publiés, ceux-ci me permettent des rencontres avec des lecteurs, d’autres auteurs, des contrées et des pays dans lesquels je suis invitée. C’est vertigineux. Et merveilleux.

 

Quels sont vos projets littéraires après Une reine sans royaume ?

Quand un roman sort, j’ai besoin de temps car son histoire continue de m’accompagner encore longtemps. Je ne sais pas encore quel sera mon prochain livre, mais les projets littéraires se poursuivront, nombreux je l’espère. Je pense que la Tunisie continuera d’habiter mes romans d’une manière ou d’une autre.

 

Y a-t-il une phrase, une citation ou un enseignement qui vous accompagne dans votre parcours et vous inspire profondément ?

Un enseignement ? Sans doute les apologues que constituent la poésie arabe. J’en lis beaucoup. Une phrase ou une citation ? Peut-être celle-ci dans Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, qui est l’un de mes romans préférés : « Comme tout le monde, je n’ai à mon service que trois moyens d’évaluer l’existence humaine : l’étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus féconde des méthodes ; l’observation des hommes, qui s’arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu’ils en ont ; les livres, avec les erreurs particulières de perspective qui naissent entre les lignes. »

 

Noha Baz :

decine, mémoire et saveurs du Liban

Médecin pédiatre, analyste gastronomique, autrice et fondatrice de l’association Les Petits Soleils, Noha Baz porte en elle mille sourires. Après des études de médecine à Paris, elle retourne au Liban en pleine guerre civile, où elle exerce dans des conditions extrêmes.

Cette expérience forge son engagement, en 1997, elle crée Les Petits Soleils, une association qui offre des soins gratuits aux enfants défavorisés du Liban. Diplômée des hautes études du goût, elle devient analyste gastronomique et autrice de livres qui célèbrent les traditions culinaires levantines, porteuses d’histoire et de tendresse.

Son écriture est un acte de transmission, ses recettes des récits, ses engagements des ponts entre les générations. Noha Baz est une passeuse d’héritage, une femme qui relie soin, saveur et solidarité.

 

Tu es médecin pédiatre et analyste gastronomique. Comment ces deux vocations se rencontrent-elles dans ton parcours ?

On me pose très souvent la question. Le lien entre les deux est tout simplement Hippocrate ! Puisqu’il préconise dans ses écrits « que ta nourriture soit ta première médecine... »

C’est quelque chose que j’applique tous les jours depuis toujours en choisissant avec soin ce que je mets dans mon assiette. Je privilégie les produits frais et de saison. Une philosophie personnelle qui date de bien avant mon cursus des Hautes études du goût et de la gastronomie à Reims. En cuisine j’ai toujours cherché à alléger les recettes traditionnelles, en diminuant par exemple le gras, le sucre et le sel et en mettant les produits en vedette, les légumes en particulier. Sans bons produits, il n’y a pas de bonne cuisine. Pour une simple compote, par exemple, si vous choisissez des fruits non traités et de saison, vous avez déjà un splendide dessert.

Pendant mes consultations, le temps consacré à prodiguer des conseils pour bien nourrir les enfants au fil de leur croissance et répondre à leurs besoins en cas de pathologie, est pour moi primordial. Cela me paraît essentiel de savoir transmettre les codes d’une nourriture saine aux parents, ainsi ils pourront les transmettre à leur tour à leurs enfants. C’est parier sur un avenir sain et gourmand. Expliquer à un enfant comment bien choisir ce qu’il met dans son assiette, c’est lui offrir une clé de bien-être pour la vie et le préserver des dangers de la nourriture industrielle. C’est le protéger autant que faire se peut de l’obésité, base de nombreuses de pathologies.

Les adolescents me contactent souvent eux-mêmes sur les réseaux pour me poser des questions concernant leur régime alimentaire. Je pense qu’être médecin, ce n’est pas uniquement prescrire des médicaments, mais donner également des conseils de bien être de vie et donc aussi d’alimentation.

 

Quest-ce qui ta poussée à créer lassociation Les Petits Soleils ?

C’est un incident survenu pendant mes années d’internat à Beyrouth. J’étais de garde et j’avais accueilli aux urgences un petit Karim âgé de sept ans qui était atteint de méningite. La guerre civile battait son plein au Liban et le petit venait de la région du sud. Il appartenait à une famille particulièrement démunie et son grand-père l’avait porté sur son dos pour l’amener à la ville avec l’espoir qu’il soit mieux soigné et sauvé. Mais, il avait traversé plusieurs barrages de milices armées, beaucoup d’obstacles pour être en fin de compte refusé, par manque de moyens, à l’admission du CHU dans lequel j’effectuais mon apprentissage.

A l’époque, j’étais étudiante, mes parents vivaient à Paris ; je n’arrivais pas à les contacter parce que les relations téléphoniques étaient aléatoires, à cause des bombardements et je n’avais pas de quoi payer moi-même la caution que l’établissement hospitalier réclamait, trois mille dollars, une fortune pour la famille du petit. Le voir agoniser dans la salle d’urgence et puis apprendre ensuite qu’il était décédé quelques heures plus tard m’avait mis dans une rage folle !

J’avais entamé mes études de médecine avec un idéal celui d’offrir soins et réconfort du mieux possible. Et je n’imaginais pas l’inégalité des soins faite à cause du manque de moyens. J’ai vite compris qu’il y avait, en tous cas, au Moyen Orient une médecine à deux vitesses et que la couverture de santé n’était absolument pas à la portée de tout le monde. Je m’étais jurée ce jour-là qu’une fois diplômée, jamais je ne permettrais que cette horreur se reproduise.

C’est pour cela que 30 ans plus tard, aujourd’hui, nous continuons à prendre en charge avec toute l’équipe Des petits soleils, des enfants à qui, il faut assurer des soins de santé en urgence et de façon chronique en couvrant chirurgies et examens médicaux, en offrant prothèses, suivis et traitements.

L’équipe est composée de médecins, de paramédicaux et de thérapeutes ainsi que de remarquables personnes de bonne volonté qui ne sont pas dans le domaine médical mais qui sont très efficaces. La terrible crise économique, qui s’est abattue sur le Liban, en 2019 et en 2020, à la suite de l’explosion du port de Beyrouth, fait que pour beaucoup de familles, l’accès aux soins est devenu impossible. Les hôpitaux de l’État, aujourd’hui sont en train de se remettre petit à petit en route, mais il va falloir des années avant qu’ils ne puissent assurer à nouveau des soins de qualité, sans compter que beaucoup d’hôpitaux dans le sud-Liban ont été totalement détruits par les bombardements qui continuent jusqu’à présent.  Assurer les soins à des enfants aux quatre coins du pays est devenu une aventure quotidienne,

Notre fierté absolue est de n’avoir jamais demandé un sou à l’état libanais. Cette aventure, je la raconte dans « Il n’y a pas de Honte à préférer le bonheur » (2019) dont Olivia de Lamberterie avait eu la gentillesse de faire la préface. Ce livre avait vu le jour, à la demande des éditions Alisio / Albin Michel. Plusieurs autres ouvrages ont suivi dont à chaque fois tous les droits ont été reversés à l’association.

 

Tu as grandi entre plusieurs cultures. Comment cela influence-t-il ton rapport au goût et à la transmission ?

Oui, absolument, j’ai grandi entre la culture levantine et suisse, le pays de ma mère. Nous parlions français à la maison, mais nous étions entourés de dialectes arabes et à notre table se mélangeaient saveurs alépines, libanaises, suisses et européennes. C’est une véritable richesse que d’être immergée dans une double culture. Chaque jour, je commence ma journée par un café cardamome comme à Beyrouth et je mélange tout au long de la journée les saveurs des deux pôles dans un même plat. Des spaghettis au Zaatar sont un classique du dîner à la maison par exemple. Un Hoummos à la betterave accompagne une volaille préparée à la française, je m’amuse beaucoup à croiser les goûts et à transmettre ceux du Levant.

Le fil conducteur de tous mes livres est voué à la transmission, j’anime à longueur d’année des ateliers et des rencontres autour de l’éducation du goût.

 

Quel plat de ton enfance t’évoque le plus de souvenirs ?

Le Kebbé ! Lorsque j’étais enfant, nous avions un jour par semaine, consacré à la confection du kebbé à la maison. Sa composition variait au fil des saisons. Dans mon ouvrage, la Nuit de la pistache, dont j’ai repris les droits et que je réimprime aujourd’hui à ma façon, j’ai décrit ce souvenir incroyable : celui d’avoir appris à lire en écoutant le bruit du pilon qui battait le kebbé dans le jurn en marbre.

 Je suis née à Alep et après les remous politiques en Syrie dans les années soixante nous n’allions pas à l’école. D’adorables pères jésuites se relayaient à la maison pour nous apprendre à lire à écrire dans la langue de Molière (mon père était l’ingénieur conseil de la congrégation et nous bénéficions de ce privilège grâce à lui).

J’adore le kebbé sous toutes ses formes, et je continue à le confectionner moi-même aujourd’hui. Tout y est bonheur ! Le choix de la viande, du mélange d’épices, de la garniture et les saveurs pour l’accompagner au fil des saisons.

Pour ce qui est de la cuisine européenne, ce qui m’a toujours fascinée, la confection du soufflé. Ma mère en faisait un au fromage absolument divin, avec une technique bien à elle. Enfant, je me souviens de moments fabuleux pendant lesquels, je guettais devant la vitre du four  ce nuage aérien, qui montait au rythme de la chaleur, une merveille !

 

Tu as fondé le prix Ziryâb. Quelle est sa vocation ?

Le prix littéraire Ziryâb, que j’ai fondé en 2014 est destiné à récompenser chaque année un ouvrage francophone qui raconte une belle histoire de transmission ou de tradition gastronomique et culinaire. La cuisine est culture ! Une assiette raconte tellement de l’histoire d’un pays

En 2014, nous avions encore au Liban un Salon Du Livre francophone (qui a repris timidement depuis trois ans) et j’avais été alors invitée à animer une table ronde gastronomique. Au détours de cette table ronde, j’ai eu l’idée de ce prix. Nous étions début novembre, période traditionnelle des prix littéraires, et je m’étais dit que la littérature gastronomique méritait largement d’être plébiscitée par un prix ! Je l’ai voulu comme un petit pont culturel entre l’orient d’où je viens et l’occident qui fait tellement partie de moi aussi.

J’ai donc tout de suite composé un jury avec la complicité de Salah Stetie immense écrivain et diplomate libanais que j’aimais énormément. Il était homme de goût avec une grande élégance d’esprit et d’écriture. Très gourmand, il parlait très joliment des nourritures terrestres et nous offrait de très belles poésies à chaque réunion. Jack Lang avait lui également, tout de suite accepté de suivre l’aventure. Nous étions six dans le jury de départ. Nous sommes 15 aujourd’hui !

Le prix est à sa 11ème édition et c’est toujours aussi passionnant de découvrir de nouveaux ouvrages.

Notre jury est composé de personnes d’horizons très différents. Il change régulièrement avec cinq personnes permanentes qui en sont le socle et des personnes invitées pour un an (maximum deux ans). Il faut fournir un véritable travail de lecture et avoir un vrai intérêt pour la littérature gastronomique, nous avons trois réunions annuelles autour d’un déjeuner, La cohésion du jury est très importante même si nous avons chacun notre avis. L’harmonie est essentielle

 

 Y a-t-il une œuvre, une citation ou une figure artistique qui taccompagne dans ton travail ?

Il y en a tellement. Dans la littérature française, Colette George Sand et Albert Camus sont mes idoles, Marguerite Yourcenar reste une sublime inspiration et Hervé Le Tellier dont je trouve les écrits particulièrement savoureux puisque l’on y retrouve souvent la cuisine entre les lignes, Proust bien sûr mais également Brillat Savarin et Antonin Carême.

Dans la littérature arabe Naguib Mahfouz et Mahmoud Darwich, Sâadi et Omar Khayyam.

Il y a une citation en particulier que j’aime beaucoup chez Mahmoud Darwish. Je l’avais choisie pour introduire « Goûts du Liban » dans laquelle il dit que « La terre se transmet comme une langue ». J’y pense à chaque fois que je confectionne un plat ou que je raconte l’histoire d’un plat, à mes petits-enfants.

Transmettre les traditions de la table d’un pays, c’est transmettre sa terre, son terroir, ses goûts et ses saisons.

Dans les trésors des archives de ma maison natale à Alep (devenue centre culturel aujourd’hui), j’avais découvert un livre tiré du premier manuscrit connu en cuisine, écrit par Ibn el Adim, auteur du 13 siècle qui avait vécu à Alep. Le titre, Kitāb al-Wuṣla ilā al-Ḥabīb, évoque l’être aimé, et portait déjà en lui, tout un programme.  L’ouvrage contenait beaucoup de recettes anciennes parfois décrites en une seule ligne. Il mêlait littérature, culture, et cuisine, de façon très fine avec un regard très juste et élégant sur les plaisirs de la table.

Il m’arrive d’y puiser des inspirations et de croiser les récits des recettes avec les ingrédients d’aujourd’hui. Et puis bien sûr, je ne peux oublier de citer, la cuisine de Ziryab de Farouk Maryam Bey dans la collection Sindbad et plusieurs autres livres de la même collection chez Actes Sud

 

 

 

 

Leïla Aoujdad

Leïla Aoujdad a fondé l’association Femmes et Diversité, un projet né de son engagement pour la reconnaissance des identités plurielles et la lutte contre les stéréotypes. Elle est  directrice d'Aleph Conseils, un cabinet spécialisé en RSE et expert en empowerment féminin.  Elle anime également un bookclub, où elle donne la parole à des auteures qui explorent, à travers l’écriture, les enjeux liés aux expériences féminines.

Son travail interroge les représentations, célèbre les parcours de résilience, et crée des espaces de transmission et de sororité. Leïla tente de construire des ponts entre les cultures, les générations et les récits. Elle a notamment réalisé le documentaire Les Tisseuses, qui explore les enjeux de corps, de droits et de mémoire.

 

Comment est née l’idée de créer Femmes et Diversité et quel a été le déclic personnel derrière ce projet ?

L’idée est née de mon vécu et de mes rencontres. J’ai souvent constaté que la parole des femmes issues de la diversité, malgré leur richesse et leur force, restait en marge du récit collectif. Le déclic a été le désir profond de créer un espace où elles puissent être visibles, audibles et reconnues, non pas comme des exceptions mais comme des actrices essentielles de notre société. 

Femmes et Diversité est née de cette conviction : que nos histoires individuelles ont une puissance universelle lorsqu’elles sont partagées.

 

Ton documentaire Les Tisseuses aborde des sujets sensibles, comment as-tu choisi les femmes à mettre en lumière ?

J’ai choisi des femmes qui, chacune à leur manière, portent une lumière dans leur quotidien. Des femmes ordinaires, mais qui révèlent une force extraordinaire lorsqu’elles racontent leurs parcours. J’ai voulu montrer la diversité des trajectoires, des origines, des luttes et des rêves, afin que chacun.e puisse s’y reconnaître, s’y inspirer, ou simplement se laisser toucher par leur humanité. Je crois à la force de l'image et des récits pour changer le regard, c'est donc dans cette optique que je me suis lancée dans cette aventure cinématographique !

 

Le bookclub est très actif, pourquoi avoir choisi la littérature comme vecteur de transmission ?

Parce que la littérature est un miroir mais aussi une fenêtre. Elle permet à la fois de se reconnaître et de découvrir d’autres mondes. Elle offre un espace de réflexion, de dialogue, parfois de réparation. Choisir la littérature dans toute sa diversité (poésie, conte, roman, etc.), c’était choisir un langage universel, capable de relier des personnes très différentes autour d’une même émotion ou d’une même idée.

 

Quels obstacles as-tu rencontrés en tant que femme réalisatrice et fondatrice d’association ?

Comme beaucoup de femmes, j’ai dû affronter le doute des autres, mais aussi parfois le mien. Le manque de moyens, la difficulté de se faire une place dans des milieux encore très fermés, et l’équilibre entre vie personnelle et engagement ont été des défis constants. Mais chaque obstacle a renforcé ma détermination et m’a rappelé pourquoi il était essentiel de continuer.

 

 Si tu pouvais adresser un message à toutes les jeunes filles qui doutent d’elles-mêmes, que leur dirais-tu ?

Je leur dirais : ton doute est normal, mais ne le laisse pas te paralyser. Comme dirait une jeune fille dans mon fil "N'écoute pas ceux qui te condamne à l'échec" Derrière chaque peur se cache une force en devenir. Tu es bien plus puissante que tu ne l’imagines, et chaque pas que tu oses faire, même petit, est déjà une victoire. Crois en ton intuition, elle sait où t’emmener et elle te fera rencontrer les meilleures personnes pour t'accompagner.

 

Peux-tu partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire particulièrement ?

Une phrase que je garde toujours en tête : « Ce que tu fais pour toi-même disparaît avec toi, ce que tu fais pour les autres reste et devient immortel. » C’est un rappel que notre véritable héritage réside dans ce que nous transmettons.

 

 

Liens utiles

"Le pouvoir d'agir des femmes par l'image et les récits inspirants"

Femmes & Diversité - Leila Aoujdad - YouTube

 

Un film documentaire

Les Tisseuses - bande annonce - YouTube

 

Médias

Leila Aoujdad - association Femmes et Diversité en replay - Vous êtes formidables - Auvergne Rhône Alpes | France TV

 

Leila Aoujdad – Femmes des territoires

 

Pour nous soutenir

https://linktr.ee/femmesetdiversite

 

L’art tactile, une démarche qui a du sens.

Chantal Rubio, fondatrice de l’association Pourquoi pas moi CLAIR ? milite depuis plusieurs années pour une société plus équitable et ouverte à tous. Installée en Ariège, elle est également référente inclusion pour la Fédération Léo Lagrange de Toulouse, accompagnant une dizaine de CLAE (sur 28) dans l’accueil d’enfants à besoins éducatifs particuliers. C’est une femme au charme solaire, qui me parle avec un accent chantant du Sud-Ouest. Elle ne contourne aucune question, évoque avec une franchise désarmante ce qui l’attend dans quelques mois : une cécité complète. Touchée par une malvoyance liée à une myopie évolutive dégénérative, associée à un glaucome, Chantal voit sa vision décliner irrémédiablement. Elle a conscience qu’elle perdra totalement la vue dans un avenir proche.

 « J’ai toujours su depuis l’enfance qu’un jour je ne verrai plus. Je me suis toujours dit : si les autres y arrivent, pourquoi pas moi ? Ma maman s’est battue pour moi. Depuis toute petite, je fais fi des obstacles. Mais aujourd’hui, le couperet est tombé, la cécité n’est plus une hypothèse, c’est une certitude qui sera-là dans 6 à 8 mois. »

 

Son parcours professionnel l’a aidée à apprivoiser la peur liée à la perte de la vue. Elle parle de résilience, nourrie par les échanges avec d’autres personnes déficientes visuelles.

 

« J’ai annoncé à mes équipes que j’allais devenir aveugle. Je veux leur soutien, pas leur compassion. »

 

Chantal rappelle que la moitié des personnes malvoyantes sont sans emploi, souvent par crainte pour leur sécurité ou faute d’aménagements adaptés. Elle invite à prendre exemple sur les pays scandinaves ou la Belgique, où l’inclusion est pensée de manière plus pragmatique.

 

 « Les lois et les décrets existent, mais leur application sur le terrain reste laborieuse. Parfois, quelques ajustements suffiraient. »

 

L’art tactile, une démarche qui a du sens.

 

Infatigable, Chantal Rubio multiplie les initiatives. L’une d’elles lui tient particulièrement à cœur : un projet photographique tactile né d’une rencontre fortuite avec Marie Colombie, artiste plasticienne engagée, lors du festival du film de Luchon en 2017, organisé la Fédération des Aveugles et amblyopes de France. Originaire du Tarn, Marie Colombie défend une approche sensorielle et inclusive de l’art. Son initiative Jusqu’au bout de nos doigts réunit photographes professionnels et personnes déficientes visuelles autour d’œuvres sculptées et tactiles. Reçue au ministère de la Culture, son travail a été salué pour sa capacité à faire tomber les barrières de la différence. Sa devise est la suivante :

« Je souhaite que chacun puisse trouver sa place, vivre et exister ensemble avec nos différences, sans différence. Ce sont les différences qui font la richesse de l’humanité. »

Chaque exposition invite les visiteurs, qu’ils soient voyants ou non, à participer à des ateliers immersifs. Dans l’un d’eux, ils sont conviés à plonger dans le noir, à explorer les œuvres par le toucher, et à les faire décrire par des personnes malvoyantes. Cette démarche poétique évoque la célèbre phrase de Saint-Exupéry : « On ne voit bien qu’avec le cœur. » Les ressentis se partagent, les émotions circulent, et les enfants, notamment, s’enthousiasment pour cette expérience sensorielle hors du commun.

Aux côtés de Chantal et Marie, Marianne Pradère joue un rôle essentiel. Chargée de mission et photographe, elle est engagée auprès de l’association Pourquoi pas moi, CLAIR ? , récemment distinguée par le Trophée régional de l’innovation sociale pour ses actions en faveur de l’autonomie des personnes malvoyantes et dys. Elle anime des ateliers de compensation (cuisine, hortithérapie, etc.) qui permettent aux participants de renforcer leur autonomie au quotidien. Elle a également contribué par ses clichés au projet d’art tactile, une expérience qui a profondément transformé son regard artistique :

« Il y a un terme que nous utilisons entre nous pour décrire l’exposition : des photos qui sortent du cadre », confie Marianne. « À l’époque, j’étais correspondante pour un quotidien local et je couvrais toutes les actions de l’APPM. En parallèle, j’étais photographe indépendante. En 2013, Chantal est venue me voir pour que je fasse prendre des photos aux adhérents avec déficience visuelle.  Je n’ai pas réfléchi, j’ai dit oui, sans assurer mon appareil photo ! » Elle concède  : « J’étais trop technique. Il n’a fallu que deux séances pour que je comprenne comment les participants fonctionnaient. Avec l’enregistrement des ressentis de chacun à chacune de leur prise de vue, et au vu des résultats, j’étais particulièrement frustrée que les apprentis photographes ne voient pas leurs photos. »

Ce n’est qu’en 2020, après une reconversion professionnelle liée à l’aggravation de son propre handicap (malentendante et atteinte d’un trouble de l’équilibre dû à une dégénérescence de l’oreille interne), que Marianne intègre officiellement l’association en tant que chargée de missions. Discrète, elle préfère rester en retrait. « Je suis plus dans la logistique et la technique, en tant que guide pour les personnes avec déficience visuelle. »

Entre Chantal, Marie et Marianne, s’est tissé un lien profond, fait de respect, de bienveillance et d’engagement. Chacune, à sa manière, contribue à bâtir une société plus inclusive, où l’art devient un langage commun, accessible à tous. Leur collaboration, nourrie par l’écoute et la solidarité, redéfinit les contours de l’inclusion. Comme le résume avec justesse Marianne : « grâce aux remarques et conseils des adhérents et de Chantal, Marie a fait évoluer son travail. C’est un art nouveau, qui n’existe pas. Aujourd’hui, on fait des repros de photos en 3D avec une imprimante 3D. Ce que fait Marie, personne ne le fait, pas comme elle le fait. »

Un art qui sort du cadre, à l’image de ces femmes qui, ensemble, repoussent les limites du possible.

Guerziz Naima

 

Nom complet de l’association :

Association Pourquoi pas moi, CLAIR André Montané

Abréviations :

C.L.A.I.R : Centre Local Autonomie inclusion et réadaptation, pour l’Inclusion et l’Accompagnement des personnes en situation de handicap visuel et multiDys.

APPM : Association Pourquoi Pas Moi

Selma Bensouda

Modératrice littéraire, médiatrice culturelle et programmatrice artistique franco-marocaine, le travail de Selma Bensouda se situe à la croisée des livres, de l’histoire de l’art et de la transmission. Elle intervient dans de nombreux festivals et événements littéraires en France et à l’international, où elle anime des rencontres autour de la littérature marocaine et francophone.

Elle est également créatrice de capsules vidéo sur l’histoire du Maroc, et anime le podcast "Marocains du monde", qui donne la parole à des figures marocaines de la diaspora.

Sur Instagram, elle partage ses coups de cœur littéraires dans une chronique sensible et engagée intitulée "Le Calame de Salma", où elle met en lumière des ouvrages souvent méconnus, des voix féminines, et des réflexions sur la mémoire, l’exil et la création.

 

Le Calame de Salma est un espace littéraire apprécié sur Instagram. Comment choisis-tu les livres que tu y présentes ?

Par coup de cœur généralement, ou alors lorsqu’un livre a été très instructif et mérite d’être partagé au plus grand nombre. J’ai cette chance de lire beaucoup, toutes sortes de livres : ma préférence va aux romans, mais je suis amenée à lire des essais ou documents en rapport avec les capsules Histoire que je produis.

 

Tes capsules sur l’histoire du Maroc revisitent des épisodes souvent oubliés. Comment construis-tu ces récits ?

Cette aventure a commencé par des recherches que j’avais faites sur le protectorat pour un autre projet, et j’ai réalisé à quel point on connaissait peu notre histoire. Sans savoir si j’étais la seule dans ce cas, j’ai commencé par publier une première vidéo avec le contenu que j’avais, qui a bien fonctionné et qui m’a confirmé dans cet intérêt partagé que nous, Marocains, avons pour notre histoire et notre patrimoine et qui, souvent, sont peu accessibles hors parcours ou publications académiques. Ensuite, c’est au gré de mes lectures, des podcasts que j’écoute, ou parfois même des gens qui m’écrivent pour me donner des idées. J’effectue des recherches poussées, je ne publie jamais rien qui ne sont historiquement fiable ou sourcé, j’écris un script court et ludique, puis je tourne avec mon iPhone.

 

Ton podcast "Marocains du monde" donne la parole à des voix diasporiques. Quel est le fil rouge de ces témoignages ?

Clairement, le rapport au Maroc : qu’est-ce qu’il représente depuis qu’on est partis, est-ce que notre sentiment envers lui a changé, comment le ressent-on et qui est-on par rapport à lui. Moi-même étant en France depuis plus de vingt ans, je me questionne constamment sur le rapport que j’ai avec le Maroc, la nostalgie qui peut parfois idéaliser ce qu’on a quitté, le manque des siens, le sentiment de l’aimer plus parce que justement on est partis, peut-être pour mieux lui revenir qui sait, puis la légitimité à parler de lui lorsqu’on est loin.

 

Comment conçois-tu ton rôle de modératrice littéraire dans des festivals comme celui du Livre de Paris ?

Comme une opportunité d’échanger avec les autrices et auteurs sur leur conception de la littérature, et ce qu’ils mettent d’elles et d’eux dans leurs livres. C’est toujours très enrichissant.

 

Quels sont tes prochains projets ou rêves culturels que tu aimerais concrétiser ?

Il y en a tellement ! J’essaye de prioriser selon ce qu’il est réaliste et possible de faire. En ce moment, je rêverais de sillonner le Maroc pour filmer sur place des capsules historiques. J’aimerais aussi beaucoup construire des projets avec les acteurs culturels sur place autour du patrimoine et de l’histoire, rouvrir certains lieux historiques en lieux culturels, travailler sur la réhabilitation des médinas d’un point de vue culturel et à l’accessibilité de la culture en général.

 

Y a-t-il une œuvre, une citation ou une figure artistique qui t’accompagne dans ton travail ?

Un peu longue comme citation, c’est plutôt un extrait de Léon l’africain d’Amin Maalouf :

Moi Hassan fils de Mohamed le Peseur, moi, Jean-Léon de Médicis, circoncis de la main d'un barbier et baptisé de la main d'un Pape, on m'appelle aujourd'hui l'Africain... On m'appelle aussi le Grenadin, le Fassi, le Zayyati, mais je ne viens d'aucun pays, d'aucune cité, d'aucune tribu. Je suis fils de la route, ma patrie est caravane, et ma vie est la plus inattendue des traversées.

Mes poignets ont connu tour à tour les caresses de la soie et les injures de la laine, l'or des princes et les chaînes des esclaves. Mes doigts ont écarté mille voiles, mes lèvres ont fait rougir mille vierges, mes yeux ont vu agoniser des villes et mourir des empires.

De ma bouche tu entendras l'arabe, le turc, le castillan, le berbère, l'hébreu, le latin et l'italien vulgaire, car toutes les langues, toutes les prières m'appartiennent.

Mais je n'appartiens à aucune. Je ne suis qu'à Dieu et à la terre, et c'est à eux qu'un jour, je reviendrai.

Et tu resteras après moi, mon fils. Et tu porteras mon souvenir. Et tu liras mes livres. Et tu reverras alors cette scène : ton père, habillé en Napolitain sur cette galée qui le ramène vers la côte africaine, en train de griffonner, comme un marchand qui dresse son bilan au bout d'un long périple.

Mais n'est-ce pas un peu ce que je fais : qu'ai-je gagné, qu'ai-je perdu, que dire au Créancier suprême ? Il m'a prêté quarante années, que j'ai dispersées au gré des voyages : ma sagesse a vécu à Rome, ma passion au Caire, mon angoisse à Fès, et à Grenade vit encore mon innocence.

 

Clémentine Domptail

Clémentine Domptail est une artiste aux multiples facettes : comédienne, auteure, voix off. Elle s’est formée dans plusieurs écoles de théâtre, notamment celle du Mime Marceau et auprès de Vladimir Ananiev, maître de dramaturgie corporelle au GITIS de Moscou. Elle débute au cinéma dans La Chambre obscure (1999) et Petites misères (2000), puis s’impose à la télévision avec des rôles marquants dans Mon vrai père, Avocats et Associés, et surtout Plus belle la vie, où elle incarne Patricia Estève, un personnage attachant qui lui vaut la reconnaissance du grand public. En parallèle, elle développe une carrière dans le théâtre avec la compagnie El Vaïven, prête sa voix à des livres audio pour Audiolib, et réalise des projets personnels comme le conte pour enfants Eliazar, l’Oiseau Rare. Sa sensibilité artistique et son engagement dans des récits forts font d’elle une figure singulière du paysage culturel français.

 

Clémentine, quel a été le déclic pour devenir comédienne ? 

Je ne me sentais pas vraiment à ma place à l’école, je me sentais très différente. Ce sont mes parents qui m’ont encouragée à prendre un autre chemin. Alors j’ai commencé le théâtre, et sur un plateau, je me sentais mieux, plus proche de l’“être”… Très vite, j’ai compris que j’avais besoin d’évoluer dans le milieu artistique, d’être dans la créativité.

 

Tu as joué dans Plus belle la vie. Que retiens-tu de cette expérience ? 

Beaucoup de plaisir ! Que du plaisir ! C’est une aventure humaine et professionnelle incroyablement riche. J’ai énormément appris. Le rythme est intense : il faut être très réactif et donner le meilleur de soi rapidement. Et puis, cela laisse de très beaux souvenirs, car c’est une série qui a marqué énormément de gens.


Le théâtre ou l’écran : où te sens-tu le plus libre ? 
Sur scène, il y a l’adrénaline du direct, l’énergie du public, c’est un moment unique. Une fois lancée, on va jusqu’au bout, quoi qu’il arrive. Sur un plateau de tournage, les scènes sont découpées et souvent tournées dans un ordre décousu. La caméra capte tout, ce qui demande une autre forme de précision, concentrée en quelques prises pour chaque séquence. J’aime les deux : ce sont deux expériences magiques qui exigent d’être pleinement dans le présent. Deux libertés différentes, mais profondément complémentaires.

 

Tu prêtes ta voix à des livres audio. Qu’est-ce qui t’attire dans cet exercice ? 

Livre audio, documentaire, voice-over, post-synchronisation… Le domaine vocal est vaste. Mais oui, beaucoup de livres, et j’adore cet exercice. Jouer avec sa voix, la moduler, créer des atmosphères, incarner à la fois la narratrice et les personnages, guider l’imaginaire, créer une proximité avec l’auditeur pour lui transmettre une histoire,  c’est passionnant. Comme tout travail exigeant, cela demande beaucoup d’énergie et de concentration, mais j’y prends énormément de plaisir.

As-tu un conseil pour les jeunes artistes ? 


Je crois que l'essentiel est de vraiment  croire en soi, de bien s’entourer et de persévérer.

Peux-tu nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire ?
J’aime me répéter : “Crois en toi, crée ta propre réalité… TOUT est possible.” Il y a une citation qui s’en rapproche et que j’aime beaucoup : « Crois en tes rêves et ils se réaliseront peut-être. Crois en toi et ils se réaliseront sûrement. »  Martin Luther King Jr. Et j’apprécie aussi celle d’Oscar Wilde : « Il faut viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles. »

Hyam Zaytoun

Hyam Zaytoun est une comédienne, scénariste et autrice française au parcours éclectique et profondément engagé. Formée au Conservatoire national supérieur d’art dramatique après des études littéraires, elle s’est illustrée au théâtre, au cinéma et à la télévision, notamment dans Le Bureau des Légendes, Un Village Français, Riviera ou The Spy.

Mais Hyam Zaytoun est aussi une voix littéraire singulière. Son premier roman, Vigile (Le Tripode, 2019), est un récit poignant sur la fragilité de la vie et la puissance de l’amour. En 2025, elle publie Les femmes afghanes n’ont plus le droit de chanter (Buchet Chastel), un texte engagé et poétique qui donne voix à celles que l’on réduit au silence.

 

Ton parcours mêle théâtre, cinéma et écriture. Comment ces disciplines nourrissent-elles ton regard sur le monde ?

Je pense que chacune de ces disciplines me permet de médiatiser le monde qui m’entoure, et de m’intéresser à des sujets auxquels je ne suis pas forcément sensibilisée. J’aime voir s’incarner des idées sur scène. J’aime que des voix, des visions différentes se confrontent. Qu’il y ait du corps, de l’émotion et en même temps de l’invisible, du politique et du philosophique. J’ai toujours voulu écrire, mais avec la peur de manquer de recul, d’être prisonnière de ma seule intimité. Le théâtre a été, et est toujours, une formation et une inspiration. J’adore aussi voir à l’œuvre l’invention, la créativité, me dire qu’on peut faire tant avec souvent peu de moyens.

Le cinéma m’inspire beaucoup aussi, mais en tant que spectatrice j’ai bien moins de recul. Je me fais immédiatement happer par l’histoire, les personnages. Idem pour les séries : je trouve qu’il y a vraiment des bijoux aujourd’hui et je pense très souvent au travail romanesque lorsque je plonge dedans. En somme, une forme de catharsis pour moi.

Lorsque je travaille comme comédienne, alors c’est une autre expérience : celle du jeu, de l’empathie mise au service du rôle, une forme d’ouverture à d’autres altérités. C’est sans doute – et je crois que c’est pour cela que j’aime tant ce métier – ce qui me donne l’impression de pouvoir vivre « d’autres vies… »

Et puis, oui, l’écriture, mais avant tout déjà la lecture. Cette expérience du silence. Et comment les mots font advenir de la conscience, comment ils peuvent toucher, éclairer, être si puissants finalement… Et donc peut-être, oui, changer la vie.

 

Ton nouveau texte sur les femmes afghanes est très engagé. Comment est née cette urgence d’écrire ?

Comme je le raconte au début de mon livre, mon engagement féministe, disons officiel, est finalement assez récent. Mais il m’a permis d’emblée de faire la connaissance de beaucoup de femmes inspirantes, qui m’encouragent, me font croire à l’idée d’une sororité. Parmi elles, une amie, dont l’appel et l’émotion quant à la situation des femmes afghanes, m’ont touchée et poussée à me questionner.

C’est d’abord son appel, sa voix justement, qui sont venus me chercher. Ils ont fait céder une forme d’indifférence et d’ignorance. J’ai voulu écouter, découvrir, et puis porter ma voix… Peut-être aussi parce que, d’une façon étrange et qui m’interrogeait, cette idée d’être empêchée de chanter, de parler, d’exprimer des émotions, des idées, m’est à la fois familière et insoutenable. Peut-être parce qu’en tant que femme, c’est une expérience – en tout cas, un héritage – qu’on a…

 

Comment choisis-tu les projets artistiques auxquels tu participes ? Y a-t-il un fil rouge dans tes choix ?

Ce sont d’abord des rencontres. J’ai besoin d’humanité, de douceur, mais aussi de finesse et d’exigence. J’ai la chance – et j’ai aussi pris cette décision – de pouvoir refuser certaines propositions, parce que j’ai plusieurs casquettes : je joue, j’écris, et j’enseigne le théâtre. De pouvoir m’associer à des projets dont les idées et la façon d’œuvrer me parlent. Ou, au contraire, me poussent à sortir de ma zone de confort. Mais toujours dans la bienveillance, l’écoute, le respect.

 

Y a-t-il une scène, au théâtre ou à l’écran, qui t’a transformée en tant qu’artiste ?

Je suis persuadée d’être régulièrement transformée, mais pas forcément d’une façon consciente. Souvent, au détour d’un moment de vie, ces œuvres, ces scènes me sont rappelées. C’est plutôt dans ce sens-là que ça arrive.

Je dirais que l’œuvre de Tchekhov (en l’occurrence Platonov), montée par Claire Lasne, il y a plusieurs années, m’a énormément touchée. Je me suis dit qu’on pouvait mettre véritablement l’entièreté de son être, de sa personnalité, de ses fragilités, ses idéaux et ses luttes intérieures et extérieures au service du jeu. Mais plus largement, aussi, au service de l’art et des autres, qu’il y a de la générosité à être artiste… Même si j’ai souvent tendance à penser qu’on est privilégié de pouvoir vivre cette vie-là. Que c’est beaucoup à nous d’avoir de la reconnaissance envers celles et ceux qui veulent bien s’intéresser à ce qu’on fait !

 

Quel rôle joue la mémoire dans ton écriture ?

La question du temps en général m’intéresse beaucoup. J’admire les auteur.ices qui arrivent à intégrer cette donnée avec créativité dans leurs œuvres. J’aime l’idée aussi, qui est en train d’être explorée par les scientifiques, d’un temps quasi quantique. Que passé, présent, futur sont bien plus complexes qu’on imagine. Imaginer qu’une multitude de possibilités s’y déploie…

En ce qui concerne mon travail, je dirais que le souvenir y joue un rôle important. Au sens où, dans chacun de mes livres (VigileLes Femmes afghanes n’ont plus le droit de chanter, mais aussi J’apprends l’arabe, un feuilleton-radio écrit pour France Culture), il s’agit de récits : pouvoir revisiter le réel, lui donner une direction, un sens, composer avec…C’est la mémoire, ce désir de ne pas oublier, mais aussi ses failles, ses angles morts, qui permet la création. Comment faire avec ce qu’on oublie, ou ce qu’on ne saura jamais ? Est-ce que ce n’est pas ça le plus émouvant souvent, dans un récit ?

 

Peux-tu nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire ?

Il y a cette phrase de Giacometti (qui est aussi le titre du petit livre dont elle est extraite) que je trouve magnifique :

« Je ne sais ce que je vois, qu’en travaillant. »

 

Amira Benbetka

Amira Benbetka est une jeune femme de lettres dont la plume, s’impose avec finesse dans le paysage littéraire contemporain. Traductrice et autrice prolifique, elle explore des genres variés, du conte au roman historique, en passant par le fantastique et la romance, avec une sensibilité marquée par les enjeux sociaux, la mémoire collective et les voix invisibilisées.

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Ilham Moustachir

Femme politique française engagée dans la vie locale et territoriale, Ilham Moustachir a été vice-présidente d’une communauté d’agglomération regroupant 42 communes. Pendant plus de douze ans, elle s’est investie dans les domaines de l’emploi, de l’insertion professionnelle, de la cohésion sociale et, surtout, du développement économique. Elle vient d’être nommée secrétaire générale de l’Observatoire de la diversité, une structure qui œuvre pour une meilleure représentation des parcours, des identités et des voix minorées dans les sphères publiques, culturelles et politiques. À travers ce rôle, elle poursuit son engagement en faveur d’une société plus inclusive et équitable.

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Nour Cadour

On peut être plusieurs désirs, plusieurs envies, Nour Cadour médecin nucléaire de profession, poétesse, romancière en est un exemple.  Elle conjugue science et sensibilité artistique avec une rare intensité. Son œuvre explore les silences, les exils, les voix oubliées, notamment celles des femmes à travers le monde. Elle est l’autrice du roman L’âme du luthier (Hello Éditions, 2022), finaliste du Prix Livre Europe-Méditerranée, et de plusieurs recueils de poésie primés, dont Larmes de lune et Le silence pour son. Nour Cadour est également très active dans la scène poétique contemporaine, organisant des lectures et des événements littéraires à Paris, Bruxelles et ailleurs.

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