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Sonia Kermen,

La force des mots.

 

Née à Carhaix, en Bretagne, Sonia Kermen est  autrice. Elle vit depuis plus de dix-sept ans aux États-Unis. Son écriture se déploie dans plusieurs genres : autobiographie, poésie, littérature jeunesse bilingue et thriller. Son autobiographie Il y a toujours un commencement retrace un parcours marqué par la résilience et le pardon, transformant les blessures de l’enfance en un récit porteur d’espoir. Elle a également publié Ma Génération, un recueil de poésies, ainsi que Les aventures d’Enzo, une série jeunesse bilingue qui mêle pédagogie et découverte culturelle. Au-delà de l’écriture, Sonia Kermen cultive ses passions pour la photographie, la cuisine et la randonnée. Ses textes, nourris de son vécu, invitent à réfléchir sur la force du pardon, la reconstruction et la beauté des détails du quotidien.

 

Qu’est-ce qui vous a poussée à franchir l’Atlantique et à vous installer en Caroline du Nord ?

 C'est la première fois que je me livre publiquement sur ce périple, un passage de ma vie qui est d'ailleurs intrinsèquement lié à l'écriture de mon prochain roman. Le franchissement de l'Atlantique n'a pas été un choix dicté par l'aventure ou l'exotisme, mais par une nécessité vitale : la quête de liberté, de sécurité et de paix pour moi et mes enfants. Après avoir lutté pour me libérer d'un environnement marqué par la violence et les abus émotionnels, j'ai réalisé que la seule personne qui pouvait me sauver, c'était moi-même. Lorsque j'ai sollicité l'aide du système et que ma souffrance a été banalisée, j'ai compris que mon pays ne pouvait pas m'offrir la protection dont j'avais désespérément besoin. Le départ est alors devenu l'unique acte possible pour reprendre le contrôle de ma vie. J'ai eu la chance, dans cette période difficile, de rencontrer une personne de confiance qui est devenue mon compagnon, et dont le soutien a été crucial pour ma démarche. C'est avec son aide, l'appui d'une avocate, et après une planification minutieuse, que j'ai pu obtenir les papiers nécessaires pour quitter la France. Je suis arrivée aux États-Unis avec mes enfants, où ce pays m'offrait un nouveau commencement et la promesse d'une vie moins cabossée. Même si la langue m'était étrangère, c'était le lieu où je pouvais enfin commencer à transformer mes épreuves en force, faisant de ma résilience ma plus grande victoire.

 

 Votre autobiographie Il y a toujours un commencement est un récit de résilience. Qu’avez-vous voulu transmettre à vos lecteurs ?

 À travers Il y a Toujours un Commencement, j'ai voulu transmettre un message fondamental : la possibilité de se choisir et le pouvoir libérateur du pardon. Ce livre retrace la transformation des blessures de l'enfance en une force. Mon intention principale était de montrer qu'il est possible de briser les cycles, de se relever quelle que soit la difficulté de l'épreuve. J'espère que mes lecteurs y trouvent non seulement un écho à leurs propres luttes, mais surtout l'espoir et l'inspiration de devenir l'acteur principal de leur propre reconstruction. C'est un récit qui dit : peu importe d'où vous venez, vous avez le droit de vous donner un nouveau commencement.

 

Vos ouvrages destinés à la jeunesse sont bilingues. Qu’est-ce qui vous a motivée à faire ce choix ?

 Vivre à l'étranger m'a donné une perspective unique sur l'importance de la langue maternelle et de l'ouverture culturelle. En tant que mère d'enfants bilingues, j'ai vu à quel point il est essentiel de leur fournir des outils ludiques pour naviguer entre le français et l'anglais. Mes livres jeunesse, la série Les aventures d’Enzo, sont bilingues par nécessité et par passion. Ils permettent aux enfants de découvrir le monde et la pédagogie d'une manière fluide, tout en maintenant un lien fort avec les racines francophones, ce qui est crucial pour les familles expatriées ou les enfants qui apprennent une deuxième langue. Je veux rendre l'apprentissage des langues une aventure joyeuse et accessible.

 

Selon vous, quel est le pouvoir des histoires pour transformer la société ?

Les histoires sont, selon moi, le moteur le plus puissant de l'empathie et du changement. Elles nous permettent de vivre des réalités qui ne sont pas les nôtres, de comprendre la douleur et la joie de l'autre, et de nous défaire de nos préjugés. Elles humanisent les statistiques et donnent une voix aux invisibles. Que ce soit à travers un thriller, une poésie ou une autobiographie, chaque récit est une fenêtre ouverte qui nous pousse à l'introspection et au dialogue. Les histoires ne transforment pas la société instantanément, mais elles transforment les individus. Et ce sont ces individus transformés, conscients, qui font évoluer la société un pas à la fois.

 

Quels sont vos projets littéraires à venir ?

J'ai deux projets passionnants qui illustrent ma démarche créative collective et engagée. Premièrement, je suis co-autrice du recueil participatif (titre surprise) qui est le résultat d'un magnifique jeu d'écriture, sortie le 24 décembre. Deuxièmement, et c'est un projet qui me tient énormément à cœur, je participe à l'ouvrage collectif 'Le jour où je me suis choisie' (sortie prévue en mars 2026, éditions Mindset). Cet ouvrage est un véritable hymne à l'empuissancement où des femmes racontent le moment où elles ont décidé de se choisir, passant de la rue à l’entrepreneuriat, de l’oppression à la liberté. Je suis d'autant plus heureuse que cette maison d'édition soit située dans ma ville de naissance, ce qui représente un beau retour aux sources. À travers des témoignages intimes, bruts, et parfois dérangeants, ce livre célèbre la force de celles qui se relèvent et inspire celles qui n’osent pas encore le faire. C'est un projet éditorial qui bouleverse, élève et donne envie de se choisir, enfin. Mon texte s'inscrit dans cette volonté de célébrer la force de la reconstruction. Enfin, je suis heureuse d'annoncer que je signerai à nouveau un livre collectif, dont la sortie est prévue pour 2027. En parallèle, je travaille activement sur mon prochain roman, dont la sortie est prévue en 2026, ce qui me permet de continuer à explorer différents genres et à cultiver ma polyvalence.

 

Pouvez-vous nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui vous inspire ?

La phrase qui guide souvent mes réflexions est celle-ci : Le pardon, ce n'est pas oublier, c'est se souvenir sans douleur. C'est un enseignement fondamental de mon cheminement. Elle résume l'essence de la résilience : on ne gomme pas le passé, mais on en change la résonance. Elle nous rappelle que le véritable acte de pouvoir n'est pas de nier ce qui nous est arrivé, mais de reprendre le contrôle de la façon dont ces événements définissent notre présent et notre futur.

Meriem Medjkane

Une trajectoire internationale.

                 

                               Meriem Medjkane est aujourd’hui une figure incontournable du cinéma et du théâtre algériens, dont le talent s’affirme également en France. Entre Alger et Paris, elle construit une carrière qui dépasse les frontières et s’inscrit dans le sillon des grandes actrices. Sur grand écran, elle s’est illustrée dans Les Terrasses de Merzak Allouache, Abou Leila d’Amin Sidi-Boumédiène, Papicha et Houria de Mounia Meddour, ou encore De nos frères blessés de Hélier Cisterne.

Son rôle dans Alger de Chakib Taleb-Bendiab, où elle incarne Dounia, psychiatre brillante plongée dans la résolution d’une affaire liée à l’enlèvement d’une petite fille, a marqué les spectateurs par la force et la subtilité de son interprétation. Le film, couronné du Grand Prix du meilleur film au Festival international du film de Rhode Island et sélectionné dans la course aux Oscars, a été accueilli avec enthousiasme en Algérie comme en France. Il a également connu un parcours international remarquable, présenté dans des festivals prestigieux tels que la Mostra de Valencia, l’IFFI de Goa, les Journées cinématographiques de Carthage ou encore le Festival de Fribourg. Autant de reconnaissances qui confirment la portée universelle de ce thriller algérien et la puissance du jeu de Meriem Medjkane.

 

De Papicha à Alger, en passant par Abou Leila, beaucoup des films auxquels vous avez participé ont été salués par le public et la critique. À vos débuts d’actrice, vous attendiez-vous à connaître une telle continuité de succès ?

Pour être tout à fait honnête, à mes débuts je ne pensais  pas faire carrière dans le cinéma ou le théâtre. J'étais étudiante en psychologie clinique entre Oran et Paris et je faisais du théâtre avec beaucoup de bonheur à côté. Lorsque l'on a commencé à me proposer des rôles, je le prenais comme un cadeau de la vie, une occasion d'explorer de nouveaux territoires et de travailler avec des metteurs en scène que je respecte et dont j'aime l'univers. Lorsque ces succès sont arrivés, j'en étais évidemment ravie !

 

Votre personnage de Dounia dans Alger est particulièrement complexe. Comment avez-vous abordé ce rôle ?

J'ai d'abord eu besoin de beaucoup échanger avec le réalisateur et scénariste Chakib Taleb Bendiab pour comprendre les contours de ce personnage. Ensuite, j'ai puisé dans dans mon vécu, dans mes émotions,  ou dans certaines situations par lesquelles je suis déjà passée ou observées chez les autres. Ensuite, il y a le travail avec mes collègues. Etre acteur c'est aussi être à l'écoute de ses partenaires et de construire ensemble.

 Je tenais aussi absolument à rendre hommage aux  femmes algériennes qui se battent au quotidien pour faire avancer les choses coûte que coûte, elles sont légion. Cela a été une boussole pour la préparation du rôle.

 

Quels critères déterminent votre choix lorsqu’un réalisateur vous propose un rôle ?

Il y a d'abord le scénario évidemment, le personnage que l’on me propose et surtout l'univers du ou de la cinéaste. Je me demande d'abord et toujours, si je peux ou non apporter quelque chose à l'histoire que l'on me propose et bien entendu, si je suis touchée par le parcours de mon personnage.

 

Quel conseil donneriez-vous à une jeune comédienne qui débute aujourd’hui ?

Je dirais que ce n'est évidemment pas un métier facile, mais qu'avec de la curiosité, de la persévérance,  du sérieux mais surtout du travail et du courage,  cela devient plus qu'un métier mais une grande aventure humaine.  Il faut donc s'accrocher et essayer dans la mesure du possible, bien choisir ses projets.

 

Quels sont vos projets actuels ou à venir, au cinéma ou au théâtre ?

Je reprends très bientôt le spectacle ‘’Les Généreux’’ de Abdlekader Alloula avec les deux compagnies Istijmam et Gena à Marseille en février 2026 et j'entame actuellement une tournée en Algérie, avec la merveilleuse comédienne Rachida Brakni, où nous lirons des textes de Assia Djebbar.

 

Pouvez-vous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui vous inspire dans votre parcours ?

Avec le temps, peut être une citation tirée de ‘La Mouette’’ de Tchekov :

" Je sais maintenant, je comprends, Kostia, que dans notre métier, artistes ou écrivains, peu importe, l’essentiel n’est ni la gloire ni l’éclat dont je rêvais ; l’essentiel, c’est de savoir endurer. "

Mon Petit Book-an 

Un projet qui fait vibrer les mots.

       

Pour Léa, donner vie à la littérature et la rendre accessible à toutes et tous est devenu une véritable mission. Elle a créé une page Instagram ainsi qu’une association, entourée de passionnés de lecture et d’écriture, afin de partager son amour des mots.

Animée par cette passion, elle organise des rencontres, des ateliers et des événements autour du livre. L’objectif étant de démocratiser la culture et ouvrir des espaces de dialogue entre auteurs, lecteurs et curieux, à travers débats, lectures publiques et ateliers d’écriture.

L’association se démarque par son approche inclusive, elle considère le livre non seulement comme un objet culturel, mais aussi comme un outil d’émancipation et de lien social, capable de rapprocher les individus et de nourrir la réflexion collective.

 

Quand et pourquoi avez-vous créé Mon Petit Book-an ?

Mon Petit Book-an a vu le jour en avril 2021, à l’origine comme un compte littéraire sur Instagram où je partageais mes coups de cœur de lecture et des interviews d’auteur.ices et de professionnel.les du livre. J’ai pour coutume de dire que j’aime les livres autant que les gens. Ainsi, l’organisation de rencontres « physiques » s’est rapidement imposé, pour poursuivre les échanges virtuels dans la vraie vie : cabarets littéraires, rencontres d’autrices en librairie ou dans des lieux culturels, comité de lecture tourné vers les premiers romans, bookclubs ou encore ateliers d’écriture sont depuis venus compléter les chroniques, portraits vidéos et lives réalisés sur Instagram.

Des sujets plus pragmatiques sont alors arrivés comme les questions d’assurance pour accueillir du public dans les meilleures conditions, ou encore le souhait d’avoir accès à des ressources (finances, partenariats) plus solides : et c’est ainsi que j’ai choisi de créer l’association dédiée à l’organisation d’événements. C’était il y a 2 ans, et la structure est animée aujourd’hui par une quinzaine de bénévoles.

 

Comment l’association contribue-t-elle à rendre la lecture et la culture accessibles à tous ?

L’association propose modestement des espaces de rencontres et de partage entre des autrices (principalement) et des lecteur.ices. Nous accueillons également des éditrices, traductrices ou illustratrices pour donner à voir la richesse du travail autour du livre, avec un regard particulier porté sur la création féminine et féministe.

Ces temps de médiation sont ouverts à tous.tes et leur accès est gratuit, ce qui est très important pour moi. Nous ne percevons pas encore de subventions, mais nous croyons que l’accès à la culture est une mission de service public dont les coûts ne doivent pas être supportés par le public justement, car cela crée rapidement des discriminations économiques que nous ne souhaitons pas voir reproduites au sein de notre association.

Plus largement, le projet Mon Petit Book-an est aussi un vecteur de connexion à distance avec une communauté de lecteur.ices qui se renforce chaque jour un peu plus. Les activités proposées via Instagram, comme les lives avec des autrices, permettent d’aller à la rencontre de publics éloignés des librairies par exemple, ou empêchés pour différentes raisons.

 

Pouvez-vous nous raconter une rencontre ou un moment qui vous a particulièrement marqué depuis la création de Mon Petit Book-an ?

Dur dur de n’identifier qu’un seul moment dans cette grande aventure si surprenant et stimulante ! Le cabaret littéraire organisé pour le 1er anniversaire de Mon Petit Book-an reste vraiment un événement spécial, riche et joyeux, ayant réuni des (jeunes) auteur.ices de talent et des éditeur.ices qui portent à travers les ouvrages qu’iels publient les valeurs antiracistes et féministes qui sont les miennes.

J’aimerais ajouter également que la rencontre qui continue de me marquer le plus à ce jour est celle de Nadège Erika, déjà autour de son premier roman Mon Petit à l’époque. Des échanges très touchants et authentiques, qui ont d’ailleurs conduit à ce que Nadège devienne la marraine de notre association, pour notre plus grand plaisir !

 

Quels projets sont prévus pour l’année à venir ?

Pour ma part, je prépare la reprise des ateliers d’écriture en janvier. Et je suis déjà ardemment au travail pour préparer les 5 ans de Mon Petit Book-an au printemps 2026, avec comme toujours des discussions impactantees, des rencontres inspirantes et mille raisons de rester mobilisé.es pour une édition et une librairie indépendantes… avec l’annonce d’une grande surprise pour marquer le coup !

Côté asso, l’équipe a préparé un superbe calendrier de l’Avent avec plein de recommandations de lecture et d’idées cadeaux, qui sera en ligne sur Instagram tout le mois de décembre ! Et le prochain événement aura lieu début février 2026, autour de plusieurs autrices merveilleuses de la rentrée littéraires d’hiver. On a hâte !

 

5) Pouvez-vous nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui vous inspire ?

« On peut être sérieux sans se prendre au sérieux », voilà un mantra que j’ai fait mien il y a de nombreuses années. On peut partager et faire passer beaucoup de choses par le rire et la joie, sans pour autant perdre en intensité dans nos luttes ou en ardeur dans nos engagements.

 

 

 

 

Liens utiles

Mon Petit Book-an 📚🔥 (@monpetitbookan) • Photos et vidéos Instagram

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Mon Petit Book-an | HelloAsso

Christelle Korichi,

Un Autre Monde.

 

                             Artiste française, Christelle Korichi s’impose sur la scène théâtrale avec son seul-en-scène poignant, Un Autre Monde. À travers le personnage de Christine, elle explore le cheminement intime d’une femme en quête de liberté, décidée à rompre avec les injonctions familiales pour suivre sa vocation artistique. Présenté notamment au Studio Hébertot et à la Scala Provence durant le festival d'Avignon 2025 puis au Théâtre La Boussole, le spectacle mêle avec finesse, humour, introspection et poésie, offrant au public une œuvre à la fois personnelle et universelle.

 

Quel a été le déclic qui vous a poussée à embrasser une carrière artistique ?

À l’âge de cinq ans, dans ma ville natale dans l’est de la France, un casting pour jouer dans une pièce de théâtre a été présentée. Ils recherchaient le rôle d’une fée sur un tapis volant. Je l’ai appris par une professeure de théâtre qui discutait avec mon aide maternelle. J’ai dit : « moi je veux être une fée ! » Et elle m’a répondu: « ma chérie, je comprends, mais il faut savoir lire pour avoir le rôle. »  Et je lui ai dit : « alors si je sais lire, je peux être une fée ? »

Et elle a dit oui. Du coup j’ai appris à lire. Et j’ai décroché le rôle. Le jour où j’ai posé mon pied sur scène, je savais que je voulais faire ça toute ma vie, je me suis sentie chez moi en sécurité.

Ensuite, j’ai joué devant ma famille, je ne voulais plus m’arrêter, je les faisais rire et j’adorais ça. Et j’ai décidé que quoi qu’il arrive, un jour ou l’autre, j’en ferais mon métier. Depuis toute petite, devenir comédienne a toujours été ma vocation et ça a été loin d’être facile. Pourtant, malgré toutes les péripéties, il y avait toujours un chemin qui m’amenait vers le métier de comédienne. Une sorte de guide qui me remettait sur ma destinée.

 

Comment avez-vous construit le personnage de Christine dans votre spectacle, et en quoi vous ressemble-t-il ?

Le personnage de Christine, c’est moi version fiction, on a tous un peu de « Christine » en soi. c’est quelqu’un qui n’ose pas dire non, parce qu’elle ne sait pas dire non, elle aime faire plaisir et, en n’osant pas dire non aux autres, elle se dit non à elle. Ce personnage a été construit le plus sincèrement possible, j’avais envie de montrer qu’on a tous des failles ou des endroits où on sait pertinemment qu’on n’est pas à notre place. Le personnage est un peu un anti-héros qui au fur et à mesure de l’histoire va prendre confiance en soi. C’est là où cela ressemble également à mon histoire, la mort est un déclic qui m’a amené à comprendre l’importance de la vie, et à comprendre aussi le besoin et la nécessité de savoir se dire « oui » à soi-même.

 Et le prénom Christine est un hommage à ma grand-mère qui n’a jamais voulu m’appeler Christelle et qui, jusqu’à son dernier souffle, me prénommait Christine. Cette histoire est donc mon histoire. Tout est vrai, ou presque. Et je fais vivre aussi dans ce spectacle des personnages de ma famille, des personnes ou des situations que j’ai rencontrées et qui m’ont particulièrement marquées, voir qui ont changé ma vision de la vie.

 

Votre spectacle mêle humour et introspection. Comment trouvez-vous cet équilibre sur scène ?

 J’ai toujours aimé faire rire, je voulais faire un spectacle qui soit à la fois drôle et profond, vrai, comme la vie. Je raconte certains épisodes avec humour parce que même si c’est pas drôle pour le personnage de Christine à l’instant T, avec du recul même les situations dramatiques a vivre peuvent faire sourire voire même rire. Cela  n’enlève rien à la vraie vie avec ses moments sensibles, tristes ou douloureux.

Durant mon spectacle, on passe d’une émotion à une autre pour conduire à une réflexion plus profonde sur le sens de sa vie et de sa destinée.

Et j’aime dire et clamer que pour moi le chemin de vie et les rencontres sont aussi importants si ce n’est plus que le résultat.

 

Quels retours du public vous ont le plus marquée depuis les premières représentations ?

 J’ai retrouvé à la sortie des personnes en pleurs et joyeuses en même temps, je suis allé vers une jeune fille qui m’a bouleversée car elle était élève infirmière et avait l’impression de ne pas être à la hauteur. Elle avait peur et elle m’a dit que pour elle mon spectacle lui a fait prendre conscience qu’il faut accepter de s’écouter et se faire confiance et de ne plus avoir peur. Je lui ai dit que même les meilleures ont eu un début. Elle a tout compris et ça ma bouleversé. Et une autre en sortant m’a dit merci pour ce spectacle: si Christine a pu réaliser ses rêves alors que c’était pas gagné, moi aussi je peux le faire. Du coup c’est moi qui avait les larmes aux yeux!

Et puis ce qui m’a beaucoup touché c’est le personnel hospitalier qui m’a remercié pour la mise en avant du métier d’infirmière, de parler avec humour et sincérité de la difficulté d’exercer leurs métiers.

Mon spectacle éveille en chacun de nous ses doutes, ses échecs et ses rêves. Permettre aux spectateurs, de se questionner et d’oser vivre leur vie en suivant l’histoire et le parcours de Christine, tout en se rendant compte à quel point la vie est précieuse. L’importance de choisir dans la vie et croire que les rêves sont faits pour être réalisés.

 

Comment le fait d’être seule en scène influence-t-il votre manière de jouer et d’écrire ?

 Le seul en scène est un art difficile. Je fais vivre de nombreux personnages, et parfois ils sont tellement présents et tellement réels pour moi, qu’au début je me souviens d’avoir attendu le personnage de ma mère arriver, alors que c’est moi qui jouait ma mère. Je me suis mis un point d’honneur à leur créer une identité personnelle, pour moi ils sont vraiment là, ils ont leurs propre existence.

il fallait trouver un équilibre entre la narration et l’incarnation des autres personnages de ma pièce. Passer d’un personnage à l’autre, permettre au public de s’y retrouver au milieu de toutes ces personnes. Trouver le bon rythme.

Quand on est comédien, c’est aussi le partage, et « jouer » au sens propre du mot à plusieurs est un immense plaisir.

Lorsque l’on est seule sur scène, il n’est pas facile de ne pas avoir son partenaire de jeu qui vous donne de la force et qui vous réponds surtout. C’est un exercice excitant et angoissant en même temps, je me jette dans le vide à chaque fois, il n’y a pas de partenaire pour jouer avec moi, mais il y a le public et ça c’est un bonheur intense et l’envie de recommencer arrive immédiatement après avoir fini.

 

Pouvez-vous nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui vous inspire ?

« Rien n’est impossible, il suffit juste d’y croire. » C’est une phrase universelle. Et c’est surtout la mienne, celle qui a guidé mes pas dans ma vie d’artiste.

Je souhaite qu’elle puisse aussi inspirer de nombreux spectateurs qui viendront voir Christine et son univers dans « Un Autre Monde ».

Nour Ballouk,

l’art comme langage de résilience.

 

Originaire de Nabatiyé, dans le sud du Liban, Nour Ballouk a été formée aux Beaux-Arts de Beyrouth. Son œuvre puissante est façonnée de mémoire, de beauté et de résistance. Ses collages numériques, présentés dans divers pays du Moyen-Orient et d’Europe, explorent les marques laissées par les conflits tout en mettant en lumière la richesse de l’identité libanaise.

En 2024, elle ouvre la toute première galerie d’art de sa ville d’origine, au cœur d’une zone fréquemment ciblée par les bombardements. 

 

Pourquoi avez-vous décidé d’ouvrir une galerie d’art à Nabatiyé ?
Ouvrir une galerie à Nabatiyé, c’était un geste à la fois intime et politique. Intime, parce que c’est ma ville, celle de mon enfance, des souvenirs, des blessures et des racines. Politique, parce qu’il s’agit d’affirmer qu’un lieu souvent réduit, dans l’imaginaire collectif, à la guerre et à la peur, peut aussi être un espace de création, de beauté et de partage. J’ai voulu rompre avec cette idée que la culture n’appartient qu’aux grandes villes. Ici, au milieu des collines bombardées, nous avons ouvert une porte, symboliquement, une fenêtre vers le monde.

La galerie est née du désir de dire : nous existons, nous créons, nous rêvons malgré tout.

 

Est-ce important pour vous de soutenir les jeunes artistes libanais ?
C’est essentiel. Les jeunes artistes au Liban vivent dans une précarité extrême : économique, mais aussi morale. Beaucoup finissent par s’exiler faute de perspectives, ou renoncent à créer. Je considère la galerie comme un lieu d’accueil et d’encouragement, un abri, au sens le plus humain du terme. Soutenir ces artistes, c’est leur dire que leur voix compte, que leur regard sur le monde est nécessaire. Et c’est aussi un moyen de reconstruire une mémoire collective à travers l’art, de transmettre quelque chose de lumineux malgré les ruines.


Comment choisissez-vous les œuvres à exposer ?
Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la vérité intérieure d’une œuvre. Au-delà de la technique, de la forme ou du style, je cherche une émotion, une vibration, quelque chose qui raconte. Une œuvre doit porter une histoire, une blessure, une espérance. Elle doit
témoigner d’un rapport authentique au monde.
Je regarde aussi comment les œuvres dialoguent entre elles. Une exposition n’est pas une juxtaposition, c’est une conversation silencieuse. J’aime que chaque pièce réponde à une autre, qu’un fil invisible relie les peintures, les formes. Cela crée une circulation d’énergie, une sorte de respiration entre les œuvres. Chaque exposition est ainsi une tentative de tisser du sens là où il semble s’être défait, une manière de remettre un peu d’ordre dans le chaos, de retrouver la beauté là où tout semble perdu.

 

Pensez-vous que l’art peut contribuer à la paix dans votre région ?
Je ne crois pas que l’art puisse arrêter les bombes. Mais il peut empêcher que la guerre détruise entièrement notre humanité. L’art ne change pas le monde de manière immédiate, mais il change le regard, il rouvre les cœurs. Et c’est peut-être là que commence la paix : quand on retrouve la capacité d’empathie, quand on accepte d’écouter la douleur de l’autre. Dans un pays fragmenté comme le Liban, l’art peut créer des passerelles invisibles. Il ne répare pas tout, mais il empêche le désespoir total.

 

Quel a été le moment le plus marquant depuis l’ouverture de votre galerie ?
Je crois que c’était le jour où, après un bombardement, des enfants du quartier sont venus dans la galerie. Ils marchaient entre les toiles, ils regardaient les images, certains touchaient doucement les cadres. L’un d’eux m’a demandé : « C’est toi qui as fait tout ça
? » Et j’ai répondu : « Non, c’est nous tous. » Ce moment m’a bouleversée. J’ai compris que la galerie n’était pas seulement un lieu d’exposition, mais un espace de respiration, un lieu où la vie reprend forme, même au milieu des décombres.

 

Pouvez-vous nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui vous inspire ?
Oui. J’aime beaucoup cette phrase de Mahmoud Darwich : « Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie. » C’est une phrase que je garde toujours en tête. Elle résume tout : la douleur, la résistance, et surtout l’amour. Malgré la guerre, malgré la perte, il reste des choses qui méritent qu’on se batte pour elles, la beauté, la mémoire, la dignité. L’art, pour moi, c’est cette manière de dire oui à la vie, même dans les ténèbres.

Le moins qu’on puisse lire, 

Un média qui réinvente le plaisir de lire. 

Lancé le 8 mars 2025, Le Moins qu’on puisse lire est un média littéraire qui bouscule les codes. Son ambition, rendre la lecture accessible à toutes et tous. À travers un ton décomplexé et des formats variés (chroniques, entretiens, sélections thématiques ou incursions dans les bibliothèques de personnalités), ce média entend réconcilier le grand public avec le plaisir de lire. Une initiative audacieuse, portée par des passionnées qui estiment que la lecture peut (re)devenir un acte joyeux, libre et partagé. 

 

Bénédicte Flye Sainte Marie, pourriez-vous nous parler de votre parcours et nous présenter les femmes derrière Le Moins qu’on puisse lire? 
 
Je suis une sorte de couteau suisse de la presse magazine puisque je suis journaliste dans de nombreux domaines, de l’actualité télé ou ciné à la santé en passant par la beauté et beaucoup d’autres choses. Je suis aussi autrice, j’ai publié quatre livres depuis 2018, trois essais sociétaux parus chez Michalon et Je suis née au son du violon, une biographie qui a été publiée aux éditions Infimes. Mais dans l’éventail de mes multiples activités, il y avait quand même un chainon manquant. Je suis une lectrice acharnée, je pense que le fait d’apprendre à lire, enfant, a été la révélation et l’éblouissement de ma vieAlors, il y a deux ans, j’ai eu envie de rajouter (encore) une nouvelle corde à mon arc et de créer un média littéraire. En a résulté Le Moins Qu’on Puisse Liremu par la volonté de “désinstitutionnaliser la lecture, de la rendre plus accessible à chacunmoins intimidante. Ce site a pu voir le jour grâce à mon ancienne partenaire Anne Bezon, qui a décidé depuis de s’investir dans d’autres activités. Et il perdure et s’épanouit aujourd’hui, grâce à des chroniqueuses et chroniqueurs venus de tous horizons, professionnelà la base de la presse ou pas. Et c’est vrai qu’il y a beaucoup de femmes dans l’équipe mais au-delà de leur genre, vous y retrouvez des plumes (Amandine Gombault, Odile Lefranc, Marceline Bodier, Anne-Sophie Campagne, Patsy MonsoonGéraldine Wiart, Pablo FlyeMarine GradelGuillaume Colombat et Camille Lefebvre)qui ont toutes ce goût de la littérature chevillé au corps et l’art de trouver les mots pour le partager.   

 

Comment choisissez-vous les auteurs, autrices ou personnalités que vous mettez en avant ? 

Nos maitres-mots, ce sont l’enthousiasme et l’éclectismeNous parlons uniquement de ce qu’on aimé et pas ce qui nous a déplu. Dans une époque si portée sur la haine et la critique, d’autres s’en chargent et on ne voit pas vraiment le bénéfice qu’il y aurait à aller ajouter nos coups de genou dans la mêléeEt ce qui s’est fait naturellement, sans que nous le préméditions, c’est que nous sommes sensiblesles un(e)s et les autres, à des types de productions littéraires très différentes. Donc ça nous permet, sans qu’on ait eu vraiment besoin de le calculer, de mettre en exergue une grande variété d’auteurs. Il nous tient à cœur également de ne pas nous limiter à ce que proposent les gros éditeurs et de nous intéresser à ce qui se fait dans les maisons d’édition indépendantes, parfois très modestes. Dans notre équipe, Marceline, que je surnomme la tête chercheuse, a justement ce tropisme et adore aller débusquer la pépite, l’écrivain ou l’écrivaine que personne ne connait encore mais qui va connaitre ensuite une très belle carrière? 

 
Selon vous, quel rôle peut jouer un média littéraire dans une société saturée d’images et de contenus courts ? 

Pour moi, c’est un refuge, un endroit où on peut à la fois sexprimer et s’écouter, où l’on prend le temps, loin des injonctions d’instantanéité, d’échanger des idées et de dialoguer non seulement sur le contenu des livres en eux-mêmes, mais sur ce qui motive, déclenche et nourrit le processus d’écriture, sur la place de l’écrivain dans le monde et dans la sociétéÇa me parait précieux. Ça l’est pour les auteurs, parce qu’il n’y a pas tellement, si on n’est pas estampillé comme un “faiseur de best-sellersd’espaces d’expression comparablepar exemple aux entretiens au très long cours que l’on propose dans notre rubrique Rencontres littéraires. Ça l’est également pour les lectrices et lecteurs, qui peuvent y aller au contact des écrivains qu’ils apprécient, en découvrir de nouveaux, retrouver aussi -j’espère- ce qui est l’épicentre de nos chroniques et interviews, le plaisir de lire. En tant qu’autrice, je sais que l’écriture sauve de tout et que grâce à elle, l’entièreté du champ des possibles reste ouverteOr, la lecture a aussi ce pouvoir salvateur, consolateur et galvanisant. C’est ce qu’on cherche à promouvoir et à transmettre avec ce média. 

 

Comment le public a-t-il accueilli votre média, et quels retours vous ont particulièrement touchées ? 

Nous sommes une structure émergente et on se développe petit à petit, avec nos armes et nos moyens. Mais ce qui me touche, c’est que les gens – et par gens, j’entends les lectrices et lecteurs mais aussi les auteurs, les acteurs du monde de l’édition et les personnalités que l’on rencontre soulignent qu’il y a chez LMQPL un accord entre fond et la forme, un contenu qualitatif et porté par l’enthousiasme et une esthétique pétillante et colorée. La preuve en est qu’à la genèse d’un média, vous avez la contrainte d’aller “chercher’ vos interlocuteurs. Là, après huit mois d’existence, Le Moins Qu’on Puisse Lire est déjà bien identifié et installé en tant que média littéraire. On nous a aussi beaucoup dit qu’une initiative telle que celle-ci était audacieuse voire inconsciente, à une époque où la lecture est comme une espèce animale en voie de disparition (rires)  

 

Pouvez-vous nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui vous inspire ? 

Parce que c’est cette démarche qui me guide, avec l’espoir de me coucher moins bête tous les soirs, je citerai Victor Hugo et sa phrase “La curiosité est une gourmandise ; voir, c'est dévorer 

 

 

 

Djida Techtach,

l’engagement en action.

Femme politique française et cheffe d’entreprise, Djida Techtach a été élue maire de Villiers-le-Bel en septembre 2024. Son parcours est guidé par une volonté profonde de faire entendre toutes les voix, celles des jeunes, des femmes et des quartiers populaires. Elle s’attache également à offrir à ses administrés un cadre de vie digne, pensé dans une perspective de long terme.

Elle débute en politique comme adjointe à la Petite enfance, puis devient conseillère départementale du Val-d’Oise. La deuxième femme à occuper ce poste dans l’histoire de Villiers-le-Bel, incarne une approche de la politique ancrée dans le terrain, le lien social et la transformation concrète des territoires.

 

Ton parcours mêle entrepreneuriat et engagement politique. Comment ces deux mondes se nourrissent-ils l’un l’autre ?

Oui, tout à fait. Même si le monde de l’entrepreneuriat obéit souvent à des logiques de rentabilité et d’intérêt individuel, il m’a appris la rigueur, la réactivité et la recherche permanente de solutions. En politique, l’objectif est tout autre : il s’agit de servir l’intérêt général. J’essaie donc de prendre le meilleur des deux mondes : la détermination, la capacité à innover et à ne jamais baisser les bras. Quand on me dit que quelque chose est impossible, je redouble d’énergie pour y parvenir. Cette culture du défi, cette envie d’agir concrètement et d’embarquer les autres, c’est ce qui nourrit mon engagement public.

 

Tu as grandi dans une cité minière. En quoi cette origine a-t-elle influencé ta vision de la politique ?

Grandir dans un territoire ouvrier m’a appris la valeur du travail, la solidarité et la dignité. La politique, pour moi, c’est d’abord le moyen de défendre ces valeurs : la justice sociale, le droit au logement, la transition écologique, l’égalité des chances. J’ai vu de près ce que coûtait le manque de protection ou d’investissement dans certains secteurs, à mon père, à ma famille, à toute une génération. C’est ce qui m’anime : agir pour que plus personne ne subisse, mais que chacun puisse construire son avenir.

 

La place des femmes en politique reste un enjeu. Comment as-tu vécu ta propre ascension dans un milieu encore masculin ?

La parité institutionnelle a ouvert des portes, mais rien n’est jamais acquis. Être une femme en politique, c’est souvent devoir faire ses preuves deux fois plus. Il faut s’imposer, se battre, convaincre, parfois surmonter des résistances que les hommes ne rencontrent pas. Mais chaque victoire, chaque avancée est aussi un message d’espoir pour les jeunes filles et les femmes : rien n’est inaccessible. C’est aussi pour elles que je me bats.

 

Comment dialogue-tu avec les habitants de Villiers-le-Bel ? Quelle est ta méthode pour rester à l’écoute du terrain ?

En étant présente, tout simplement. Je crois profondément à la proximité et à la sincérité. Être sur le terrain, écouter, échanger, co-construire. Rien ne remplace le contact direct avec les habitants. J’aime ces moments où l’on parle sans filtre, avec le cœur. C’est ainsi qu’on comprend réellement les besoins, les attentes, les espoirs d’une ville.

Quelle est, selon toi, la réalisation dont tu es la plus fière pour ta ville ? Celle qui incarne le mieux ton engagement et ta vision ?

Il y en a plusieurs, dont la plus grande pour notre ville est la rénovation urbaine pour transformer notre ville, nos quartiers et mieux vivre mais certaines me tiennent particulièrement à cœur : la Maison des Femmes et la salle de sport Jemima Kabeya, lieux d’émancipation et de reconstruction. La refonte de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), qui nous permet de renforcer la sécurité et la tranquillité résidentielle. Et le grand Forum de l’emploi, qui a proposé plus de 700 postes aux habitants.

À travers tout cela, il y a une même conviction : celle de l’égalité, qu’elle soit entre les sexes ou dans les chances offertes à chacun. C’est ce combat pour la liberté et l’émancipation qui guide mon mandat.

 

Peux-tu partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire particulièrement ?

« Je ne suis pas de celles et ceux qui redoutent l’avenir. »  Simone Veil

Cette phrase résume parfaitement ma manière de voir la vie et la politique : avancer avec courage, croire au progrès, et ne jamais renoncer à transformer la société.

 

Marina Pastor, artiste plurielle.

Le parcours de Marina Pastor, comédienne et actrice, se caractérise par la diversité et la richesse de ses rôles, aussi bien au cinéma qu’à la télévision. Elle se fait remarquer dans Une semaine sur deux (et la moitié des vacances scolaires) d’Ivan Calbérac, et dans la série culte Bref, où elle incarne la mère de Kyan Khojandi. Plus récemment, elle a interprété le rôle de la mère d’Édouard Louis dans Combats et métamorphoses d’une femme, une œuvre poignante qui explore la transformation d’une femme confrontée aux violences liées à sa condition sociale.

En parallèle de sa carrière d’actrice, Marina Pastor est également scénariste et productrice.

 

 Votre carrière est marquée par une grande diversité de rôles. Qu’est ce qui guide voix choix artistiques ? 

Les choix artistiques pour une comédienne sont synonymes de rencontres, avec des auteurs, des metteurs en scènes, des univers différents.
Pour ma part, la rencontre la plus importante est celle que je tisse avec mon personnage, tout ce que je lui prête de moi, cet échange imaginaire qui ressemble à un acte d’amour. Dans ma vie personnelle j’ai souvent été en lutte contre des injustices sociales entre autres et cela a sans doute nourri ma vie artistique. Il y a quelques années maintenant, j’ai joué dans 2 spectacles de Bertold Brecht qui ont enrichi la comédienne que je suis aujourd’hui et cette phrase de l’auteur résonne encore en moi : “ Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu “

 

Dans Combats et métamorphoses d’une femme vous incarnez la mère d’Edouard Louis. Comment avez-vous abordé ce rôle si intime et politique ?

Merci Naima de coller ensemble les mots “intime” et “politique” ! Cela résonne particulièrement et c’est l’essentiel des œuvres théâtrales qui m’ont marquée. 

J’ai adapté le roman d’Edouard Louis avec mon propre fils, Louis Pastor qui est lui aussi, sociologue/enseignant chercheur. Et cette création a été une aventure théâtrale et humaine très forte. J’ai donné vie et corps à Monique, femme au foyer, vivant dans une précarité absolue et dominée par les hommes. Ce qui m'a frappé chez elle, c'est sa vitalité, son appétit de vie, son humour.  Elle porte en elle un désir d’émancipation que les drames et les contraintes de la vie n’altèrent jamais. C’est cette force intérieure que je voulais avant tout montrer. Elle résiste, elle lutte et alors démarre une nouvelle vie ailleurs, loin de sa condition. A plus de 50 ans, si ce n’est pas un message d’espoir pour toutes les femmes ça ? 

Le rapport mère/fils intime que mon fils et moi avons livré au public à travers l’écriture d’Édouard Louis a constitué pour moi un grand vertige artistique.

Nous souhaitons d’ailleurs reprendre ce spectacle à Paris prochainement.

 Comment nourrissez-vous votre créativité au quotidien ?

J’essaie d’être attentive aux changements de société, les voir et les comprendre m'intéresse davantage que perdre pied, en fait je déteste les “c’était mieux avant” !
Oui, le jeu des comédiens par exemple, a changé, on ne joue plus comme il y a 50 ans.
Les outils ont aussi beaucoup évolué : le web, l’IA… mais je ne me sens pas dépassée, enfin pour le moment ;). Le rapport à l'identité de genre, ce que signifie être une femme, un homme, entre les deux, etc. tout cela me passionne, je lis beaucoup de contenus sur ces sujets.

Sinon je vais beaucoup au cinéma et au théâtre. Je vis à Paris et c’est une chance.
J’adore la photographie et les expos photo, c’est toujours très inspirant ces instantanés de vie qui captivent, font rêver ou vous révoltent. Les livres aussi ouvrent le champ de l’imaginaire et des possibles. Cependant, j’ai un rapport un peu contrarié et cyclique à la lecture et je trouve toujours que je ne lis pas suffisamment.
Et puis, la poésie est partout, sur mon vélo, à la terrasse d’un café, dans le regard d’une amie.

 

Y a-t-il un rôle que vous rêvez d’interpréter ?

Beaucoup de rôles…Il y a quelques années, alors que je jouais dans une adaptation de Charles Dickens, mon fils m’a dit une très jolie chose : “Miss Havisham, elle attendait quelque part que tu lui donnes vie”. J’y repense souvent et je me dis qu’il y a un endroit ou des personnages attendent leur moment de lumière !
J’espère avoir une multitude de rendez-vous avec des héroïnes encore dans l’ombre.
D’autre part je ne sais pas si vous avez remarquez mais après 50 ans les comédiennes développent un super pouvoir, elles disparaissent des écrans !
Je fais partie de l’AAFA – Tunnel de la comédienne de 50 ans, un collectif qui combat les stéréotypes sexistes liés à l’âge des femmes. Pour nous, il s’agit d’un véritable enjeu de société : faire évoluer les regards et la représentation des femmes vieillissantes.

 

Vous êtes également scénariste et productrice. Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer de l’interprétation à la création ? 

Être choisie et imaginée pour une création c’est le désir profond de toute comédienne et j’ai eu cette chance, avec des auteurs contemporains et aussi de grands metteurs en scène. 

Et puis certains compagnonnages artistiques ont pris fin de manière brutale pour moi, alors comme après une rupture amoureuse… il faut rebondir !
Écrire sa propre histoire, croire en son travail, le proposer, frapper aux bonnes portes, le partager et enfin le créer. Imaginer sur son canapé des situations, des personnages et quelques mois plus tard voir une équipe constituée et investie sur son projet est quelque chose d’un peu fou.  C’est comme passer du rêve à la réalité ou de la réalité au rêve ! 

Il n’y a rien de plus exaltant malgré les immenses angoisses que cela génère de suivre un projet de bout en bout. Oui ta création artistique, c’est ton enfant et ça, ce n’est pas une légende ! 

 

Y a-t-il une phrase, une citation, ou un enseignement qui vous accompagne dans votre parcours et vous inspire profondément ?
On nous inflige

Des désirs qui nous affligent

On nous prend faut pas déconner dès qu'on est né

Pour des cons alors qu'on est

Des Foules sentimentales

Avec soif d'idéal

Attirées par les étoiles, les voiles

Que des choses pas commerciales

Foule sentimentale

Il faut voir comme on nous parle
Comme on nous parle
Alain Souchon, Foule Sentimentale, 1993 

 

 

Hella Feki,

Une plume entre les rives.

Autrice, professeure de lettres et formatrice d’enseignants, Hella Feki explore dans ses romans les marges de l’histoire, les voix oubliées et les destins féminins. Après avoir marqué les esprits avec Noces de jasmin, lauréat du festival du premier roman de Chambéry en 2020, elle revient en 2025 avec Une reine sans royaume, un roman historique qui redonne vie à Ranavalona III, dernière reine de Madagascar, exilée à Alger après la colonisation de son pays.

 

Dans ce nouveau récit, la romancière mêle fiction biographique et mémoire coloniale pour faire entendre la voix d’une souveraine déchue, entre mélancolie, dignité et renaissance. À travers le prisme de l’exil, elle interroge les silences de l’histoire, les amours contrariées et la puissance des femmes dans des mondes qui les marginalisent.

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur Ranavalona III, et dans quelles circonstances avez-vous découvert ce personnage ? 

Je suis franco-tunisienne, d’un père tunisien et d’une mère française et j’ai grandi à Tunis jusqu’à mes 18 ans. Je suis ensuite venue m’installer en France où je suis devenue professeure de lettres et théâtre. J’ai eu la chance, grâce à mon métier d’aller enseigner quatre années à Madagascar, au lycée français de Tananarive. C’est un pays qui m’a profondément marquée, où j’ai écrit, d’ailleurs mon premier roman, Noces de jasmin. Cela fait quatre ans que je suis de retour en région parisienne, où j’enseigne.

Lors de mon séjour à Madagascar, je vivais en face du palais de la reine, situé sur la colline en face de ma maison. J’ai très vite nourri une fascination pour les reines de Madagascar, en particulier Ranavalona Première car elle avait repoussé les missionnaires chrétiens et les colons, consciente de ce que leur présence impliquait pour leur île, mais aussi Ranavalona III, en raison de son exil à Alger. J’ai visité le palais de Tananarive, le Rova Manjakamiadana, au sommet de la colline Analamanga, dominant la capitale.

Ce livre est né d’un hasard et d’une rencontre fortuite. De retour en région parisienne après ces quatre années de vie, j’avais décidé de passer quelques jours de vacances chez mes parents, dans le quartier de l’Ariana. Lors de ce retour, j’ai fait une visite de la Médina de Tunis avec des amis de Madagascar et un journaliste et écrivain reconnu en Tunisie, Hatem Bourial. C’est à ce moment-là qu’il m’a parlé d’un article qu’il avait écrit sur le séjour de la Reine Ranavalona III à Tunis. Il me l’a envoyé : y figurait une carte postale représentant la reine Ranavalona dans les champs de course de Ksar Saïd. A partir de ce moment-là, j’ai commencé à lire tout ce que je pouvais trouver sur elle, sans trouver aucune trace de son séjour à Tunis.

J’ai ensuite lu tout ce qui a trait à cette époque des Beys de Tunis, et c’est ainsi que j’ai découvert les personnages de Lella Beya Qmar et de la Princesse Nazli, puis de Myriam Harry. J’ai alors décidé de lire presque tous les récits de Myriam Harry, et c’est ainsi que j’ai eu la confirmation de la venue de Ranavalona III à Tunis. Myriam Harry et elle s’étaient rencontrées lors d’une gigantesque manifestation théâtrale dans l’amphithéâtre romain de Carthage. Une carte postale la représentant au milieu des ruines romains accompagnait le récit de Myriam Harry, avec une autre date, 1907.

 

J’avais un premier indice, une date, et c’est ainsi que j’ai commencé à fouiller dans la mémoire de mon pays, en allant dans les archives nationales de Tunisie, puis dans celles d’outre-mer à Aix-en-Provence. Il y avait quelques articles sur son séjour à Tunis, mais rien de très épais. C’est à ce moment-là que la fiction a pris le dessus et que j’ai imaginé ce qu’elle aurait pu vivre sur place.

Ranavalona III est une reine oubliée de l’Histoire, qui me touche par son visage si triste et en même temps sa grande notoriété à cette époque-là. Et surtout, j’avais quitté Madagascar et c’est elle qui me ramenait dans mon pays, la Tunisie.

 

Considérez-vous ce roman comme une forme de réparation mémorielle pour les femmes, souvent absentes de l’Histoire en général et de l’histoire coloniale en particulier ? 

Oui, bien sûr, ce roman est une forme de réparation mémorielle pour les femmes. Elles ont souvent été invisibilisées. Qui a écrit l’histoire coloniale ? Les hommes qui ont colonisé les terres. A partir de là, les femmes illustres des colonies, qui ont joué un rôle majeur pour certains combats, sont peu connues.

Ainsi, dans mon roman, dans un journal fictif tenu à l’orée de sa mort en 1917, Ranavalona raconte sa rencontre avec des souveraines orientales : Lella Beya Qmar, une odalisque circassienne offerte par le sultan de l’empire de Constantinople au Bey de Tunis, la princesse égyptienne Nazli, qui a fondé les premiers salons de pensée féminin et Myriam Harry, première lauréate du prix Femina parce que refusée par le Goncourt (parce que femme…).

Lella Beya Qmar est une odalisque circassienne qui avait été offerte par le sultan de Constantinople au Bey. Elle est arrivée en terre étrangère alors qu’elle n’avait que quatorze ans et a fait partie du harem de Sadok Bey, un homme âgé. A sa mort, elle a épousé son frère Ali Bey, vieillard également, dont elle a subi l’union charnelle  forcée. Au décès de ce dernier, elle a enfin contracté un mariage d’amour : Naceur Bey lui a fait d’ailleurs construire un palais, le fameux Ksar Essaada, à La Marsa.

En lisant sur ce personnage féminin, j’ai découvert la princesse égyptienne Nazli, qui a fondé les premiers salons littéraires de Tunis. Elle a vécu plusieurs années à Paris, puisqu’elle était l’épouse du grand ambassadeur Khalil Pacha, qui collectionnait les œuvres d’art et fréquentait Courbet et Ingres. Déjà érudite dans l’empire ottoman, ayant bénéficié d’une éducation élitiste et exigeante à Constantinople, elle a complété sa culture par la fréquentation des salons littéraires parisiens, qui lui ont inspiré ceux qu’elle a créés au Caire, après le décès de son époux. Par ses nombreux voyages en France, notamment pour les congrès d’Afrique du Nord, elle a rencontré le fils du grand Cheikh de la mosquée Ez-Zitouna, Khalil Bouhageb, alors politicien et membre de l’association démocratique de la Khaldounia.

Et c’est en lisant sur cette princesse que j’ai découvert son amitié avec Myriam Harry, écrivaine lauréate du prix Femina pour La Conquête de Jérusalem en 1904, grande journaliste installée à Tunis. C’est en me plongeant dans les œuvres de cette dernière sur Tunis, La Tunisie enchantée, Tunis la Blanche et Mon amie Lucie Delarue-Mardrus, que j’ai découvert sa rencontre avec la reine Ranavalona III lors de l’événement d’envergure organisé pour la réhabilitation de l’amphithéâtre romain de Carthage.

L’éloge des salons littéraires en Orient au vingtième siècle est donc un axe qui s’est imposé, et j’ai beaucoup lu sur tous ces personnages : des biographies, des articles, des ouvrages historiques. J’ai également lu les œuvres de Lucie Delarue-Mardrus, la grande dramaturge qui joue dans le spectacle pour la célébration de la réhabilitation des ruines de l’amphithéâtre romain de Carthage. J’aurais aimé donné une place plus importante à cette dernière, une grande féministe également, mais le roman ne s’y est pas prêté.

Quant à Ranavalona III, qui s’en souvient aujourd’hui en France ? Elle était pourtant célèbre dans les années 1900 et les foules l’attendaient partout sur les quais de Marseille, Paris, dans la finalité de voir la souveraine malgache. Elle faisait la Une des journaux ! Elle était invitée dans les hauts lieux : l’Opéra de Paris, l’Elysée, le Sénat, les grandes manifestations, partout, en France, y compris lors de ses voyages en province. Elle figurait également sur boîtes de Biscuit Lu. Marcel Proust l’évoque dans la Recherche du temps perdu, plus précisément dans A l’ombre des jeunes filles fleurs, comme une apparition mystérieuse sur laquelle tout le monde chuchote…

 

La Tunisie traverse aussi votre roman. Quel lien intime ou symbolique entretenez-vous avec votre pays d’origine ?

J’ai passé toute mon enfance à Tunis. Je suis franco-tunisienne, née de l’union d’une mère française et d’un père tunisien. Je garde les souvenirs d’une petite fille en permanence dehors, refusant de jouer à la poupée et à la dînette avec les voisines de la rue où je passais mes étés, à Sfax, chez mes grands-parents. Ma grand-mère ne comprenait pas que je préfère m’échapper avec mon frère et mes cousins. Moi, j’aimais monter sur les toits pour jouer au rami avec eux, jouer à Chat Perché dans la rue avec les autres petits garçons et faire du vélo. Avec du recul, je comprends ma grand-mère : elle avait été mariée à dix ans avec mon grand-père (qui avait alors 18 ans) et avait eu son premier enfant à treize ans. Elle n’avait connu que l’enfermement et les tâches ménagères. Pour elle, cela faisait partie du « devoir féminin » et mon attitude bouleversait les conventions et l’ordre patriarcal établi et accepté.

Chez mes parents, à Tunis, je jouissais d’une grande liberté de jeu : je montais dans les arbres, surtout dans mon grand caoutchouc où je dépliais des parapluies que je coinçais dans les branches pour me fabriquer des cabanes et des abris. Je ramassais également les cailloux du jardin, je les étiquetais « pierres précieuses ». Puis, je déplaçais une petite épicerie en bois que m’avait offerte mon père pour jouer, je plaçais les pierres dessus et je les vendais à la criée pour 10 millimes, ce qui faisaient rire tous les passants et les voisins. Lorsque je n’étais pas dehors, je passais aussi beaucoup de temps à lire, parfois dans mon caoutchouc, sous les parapluies.

Adolescente, je faisais du roller et je continuais à vouloir être dans la rue avec les garçons. Je crois que la liberté que j’avais, grâce à l’éducation de mes parents, mais aussi l’atmosphère du jeu dans les rue de Tunis, ont forgé mon caractère et mon esprit.

Le lien intime que j’entretiens avec la Tunisie, c’est cette enfance heureuse. C’est aussi le passage constant de la langue arabe à la langue française pour échanger tantôt avec mes cousins tantôt avec ma mère.

Le lien symbolique que j’entretiens avec la Tunisie, c’est aussi ce désir très profond de connaître davantage son Histoire, ses oublié(e)s, sa littérature, sa poésie, ses arts. J’ai très envie de reprendre la lecture en arabe. Cela me manque constamment. En quittant la terre de mon enfance à l’âge de dix huit ans, j’ai emporté avec moi la nostalgie de mon pays natal, peut-être par mimétisme puisque ma mère, elle, inconsciemment, nous a élevés avec sa propre nostalgie, celle de sa région d’origine…

 

Quelle place l’écriture occupe-t-elle dans votre vie, et quel rôle joue-t-elle dans votre rapport au monde ?

L’écriture occupe une place centrale dans ma vie, tout comme la littérature, et depuis toujours. J’ai toujours beaucoup lu, depuis l’enfance. J’écrivais beaucoup de comptines, dès que j’ai su écrire. Je fabriquais aussi des petits journaux avec mon frère lorsque nous étions petits. J’écrivais les histoires, les blagues, j’inventais des « pages de jeux », et mon frère tapait et mettait en forme le tout à l’ordinateur. A l’adolescence, j’ai tenu un journal intime. Puis, adulte, j’ai noirci des carnets de voyage lors de mes voyages avant de me décider à écrire des romans.

L’écriture joue un rôle fondamental dans mon rapport au monde, parce que la naissance de mes romans me font découvrir des univers inattendus, méconnus. En même temps que j’écris, j’explore le temps, des univers, des paysages, des auteurs que je relis ou découvre. Ecrire me permet d’être là où les lignes me conduisent, tout en restant dans l’espace intime où je compose. Une fois les romans publiés, ceux-ci me permettent des rencontres avec des lecteurs, d’autres auteurs, des contrées et des pays dans lesquels je suis invitée. C’est vertigineux. Et merveilleux.

 

Quels sont vos projets littéraires après Une reine sans royaume ?

Quand un roman sort, j’ai besoin de temps car son histoire continue de m’accompagner encore longtemps. Je ne sais pas encore quel sera mon prochain livre, mais les projets littéraires se poursuivront, nombreux je l’espère. Je pense que la Tunisie continuera d’habiter mes romans d’une manière ou d’une autre.

 

Y a-t-il une phrase, une citation ou un enseignement qui vous accompagne dans votre parcours et vous inspire profondément ?

Un enseignement ? Sans doute les apologues que constituent la poésie arabe. J’en lis beaucoup. Une phrase ou une citation ? Peut-être celle-ci dans Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, qui est l’un de mes romans préférés : « Comme tout le monde, je n’ai à mon service que trois moyens d’évaluer l’existence humaine : l’étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus féconde des méthodes ; l’observation des hommes, qui s’arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu’ils en ont ; les livres, avec les erreurs particulières de perspective qui naissent entre les lignes. »

 

Noha Baz :

decine, mémoire et saveurs du Liban

Médecin pédiatre, analyste gastronomique, autrice et fondatrice de l’association Les Petits Soleils, Noha Baz porte en elle mille sourires. Après des études de médecine à Paris, elle retourne au Liban en pleine guerre civile, où elle exerce dans des conditions extrêmes.

Cette expérience forge son engagement, en 1997, elle crée Les Petits Soleils, une association qui offre des soins gratuits aux enfants défavorisés du Liban. Diplômée des hautes études du goût, elle devient analyste gastronomique et autrice de livres qui célèbrent les traditions culinaires levantines, porteuses d’histoire et de tendresse.

Son écriture est un acte de transmission, ses recettes des récits, ses engagements des ponts entre les générations. Noha Baz est une passeuse d’héritage, une femme qui relie soin, saveur et solidarité.

 

Tu es médecin pédiatre et analyste gastronomique. Comment ces deux vocations se rencontrent-elles dans ton parcours ?

On me pose très souvent la question. Le lien entre les deux est tout simplement Hippocrate ! Puisqu’il préconise dans ses écrits « que ta nourriture soit ta première médecine... »

C’est quelque chose que j’applique tous les jours depuis toujours en choisissant avec soin ce que je mets dans mon assiette. Je privilégie les produits frais et de saison. Une philosophie personnelle qui date de bien avant mon cursus des Hautes études du goût et de la gastronomie à Reims. En cuisine j’ai toujours cherché à alléger les recettes traditionnelles, en diminuant par exemple le gras, le sucre et le sel et en mettant les produits en vedette, les légumes en particulier. Sans bons produits, il n’y a pas de bonne cuisine. Pour une simple compote, par exemple, si vous choisissez des fruits non traités et de saison, vous avez déjà un splendide dessert.

Pendant mes consultations, le temps consacré à prodiguer des conseils pour bien nourrir les enfants au fil de leur croissance et répondre à leurs besoins en cas de pathologie, est pour moi primordial. Cela me paraît essentiel de savoir transmettre les codes d’une nourriture saine aux parents, ainsi ils pourront les transmettre à leur tour à leurs enfants. C’est parier sur un avenir sain et gourmand. Expliquer à un enfant comment bien choisir ce qu’il met dans son assiette, c’est lui offrir une clé de bien-être pour la vie et le préserver des dangers de la nourriture industrielle. C’est le protéger autant que faire se peut de l’obésité, base de nombreuses de pathologies.

Les adolescents me contactent souvent eux-mêmes sur les réseaux pour me poser des questions concernant leur régime alimentaire. Je pense qu’être médecin, ce n’est pas uniquement prescrire des médicaments, mais donner également des conseils de bien être de vie et donc aussi d’alimentation.

 

Quest-ce qui ta poussée à créer lassociation Les Petits Soleils ?

C’est un incident survenu pendant mes années d’internat à Beyrouth. J’étais de garde et j’avais accueilli aux urgences un petit Karim âgé de sept ans qui était atteint de méningite. La guerre civile battait son plein au Liban et le petit venait de la région du sud. Il appartenait à une famille particulièrement démunie et son grand-père l’avait porté sur son dos pour l’amener à la ville avec l’espoir qu’il soit mieux soigné et sauvé. Mais, il avait traversé plusieurs barrages de milices armées, beaucoup d’obstacles pour être en fin de compte refusé, par manque de moyens, à l’admission du CHU dans lequel j’effectuais mon apprentissage.

A l’époque, j’étais étudiante, mes parents vivaient à Paris ; je n’arrivais pas à les contacter parce que les relations téléphoniques étaient aléatoires, à cause des bombardements et je n’avais pas de quoi payer moi-même la caution que l’établissement hospitalier réclamait, trois mille dollars, une fortune pour la famille du petit. Le voir agoniser dans la salle d’urgence et puis apprendre ensuite qu’il était décédé quelques heures plus tard m’avait mis dans une rage folle !

J’avais entamé mes études de médecine avec un idéal celui d’offrir soins et réconfort du mieux possible. Et je n’imaginais pas l’inégalité des soins faite à cause du manque de moyens. J’ai vite compris qu’il y avait, en tous cas, au Moyen Orient une médecine à deux vitesses et que la couverture de santé n’était absolument pas à la portée de tout le monde. Je m’étais jurée ce jour-là qu’une fois diplômée, jamais je ne permettrais que cette horreur se reproduise.

C’est pour cela que 30 ans plus tard, aujourd’hui, nous continuons à prendre en charge avec toute l’équipe Des petits soleils, des enfants à qui, il faut assurer des soins de santé en urgence et de façon chronique en couvrant chirurgies et examens médicaux, en offrant prothèses, suivis et traitements.

L’équipe est composée de médecins, de paramédicaux et de thérapeutes ainsi que de remarquables personnes de bonne volonté qui ne sont pas dans le domaine médical mais qui sont très efficaces. La terrible crise économique, qui s’est abattue sur le Liban, en 2019 et en 2020, à la suite de l’explosion du port de Beyrouth, fait que pour beaucoup de familles, l’accès aux soins est devenu impossible. Les hôpitaux de l’État, aujourd’hui sont en train de se remettre petit à petit en route, mais il va falloir des années avant qu’ils ne puissent assurer à nouveau des soins de qualité, sans compter que beaucoup d’hôpitaux dans le sud-Liban ont été totalement détruits par les bombardements qui continuent jusqu’à présent.  Assurer les soins à des enfants aux quatre coins du pays est devenu une aventure quotidienne,

Notre fierté absolue est de n’avoir jamais demandé un sou à l’état libanais. Cette aventure, je la raconte dans « Il n’y a pas de Honte à préférer le bonheur » (2019) dont Olivia de Lamberterie avait eu la gentillesse de faire la préface. Ce livre avait vu le jour, à la demande des éditions Alisio / Albin Michel. Plusieurs autres ouvrages ont suivi dont à chaque fois tous les droits ont été reversés à l’association.

 

Tu as grandi entre plusieurs cultures. Comment cela influence-t-il ton rapport au goût et à la transmission ?

Oui, absolument, j’ai grandi entre la culture levantine et suisse, le pays de ma mère. Nous parlions français à la maison, mais nous étions entourés de dialectes arabes et à notre table se mélangeaient saveurs alépines, libanaises, suisses et européennes. C’est une véritable richesse que d’être immergée dans une double culture. Chaque jour, je commence ma journée par un café cardamome comme à Beyrouth et je mélange tout au long de la journée les saveurs des deux pôles dans un même plat. Des spaghettis au Zaatar sont un classique du dîner à la maison par exemple. Un Hoummos à la betterave accompagne une volaille préparée à la française, je m’amuse beaucoup à croiser les goûts et à transmettre ceux du Levant.

Le fil conducteur de tous mes livres est voué à la transmission, j’anime à longueur d’année des ateliers et des rencontres autour de l’éducation du goût.

 

Quel plat de ton enfance t’évoque le plus de souvenirs ?

Le Kebbé ! Lorsque j’étais enfant, nous avions un jour par semaine, consacré à la confection du kebbé à la maison. Sa composition variait au fil des saisons. Dans mon ouvrage, la Nuit de la pistache, dont j’ai repris les droits et que je réimprime aujourd’hui à ma façon, j’ai décrit ce souvenir incroyable : celui d’avoir appris à lire en écoutant le bruit du pilon qui battait le kebbé dans le jurn en marbre.

 Je suis née à Alep et après les remous politiques en Syrie dans les années soixante nous n’allions pas à l’école. D’adorables pères jésuites se relayaient à la maison pour nous apprendre à lire à écrire dans la langue de Molière (mon père était l’ingénieur conseil de la congrégation et nous bénéficions de ce privilège grâce à lui).

J’adore le kebbé sous toutes ses formes, et je continue à le confectionner moi-même aujourd’hui. Tout y est bonheur ! Le choix de la viande, du mélange d’épices, de la garniture et les saveurs pour l’accompagner au fil des saisons.

Pour ce qui est de la cuisine européenne, ce qui m’a toujours fascinée, la confection du soufflé. Ma mère en faisait un au fromage absolument divin, avec une technique bien à elle. Enfant, je me souviens de moments fabuleux pendant lesquels, je guettais devant la vitre du four  ce nuage aérien, qui montait au rythme de la chaleur, une merveille !

 

Tu as fondé le prix Ziryâb. Quelle est sa vocation ?

Le prix littéraire Ziryâb, que j’ai fondé en 2014 est destiné à récompenser chaque année un ouvrage francophone qui raconte une belle histoire de transmission ou de tradition gastronomique et culinaire. La cuisine est culture ! Une assiette raconte tellement de l’histoire d’un pays

En 2014, nous avions encore au Liban un Salon Du Livre francophone (qui a repris timidement depuis trois ans) et j’avais été alors invitée à animer une table ronde gastronomique. Au détours de cette table ronde, j’ai eu l’idée de ce prix. Nous étions début novembre, période traditionnelle des prix littéraires, et je m’étais dit que la littérature gastronomique méritait largement d’être plébiscitée par un prix ! Je l’ai voulu comme un petit pont culturel entre l’orient d’où je viens et l’occident qui fait tellement partie de moi aussi.

J’ai donc tout de suite composé un jury avec la complicité de Salah Stetie immense écrivain et diplomate libanais que j’aimais énormément. Il était homme de goût avec une grande élégance d’esprit et d’écriture. Très gourmand, il parlait très joliment des nourritures terrestres et nous offrait de très belles poésies à chaque réunion. Jack Lang avait lui également, tout de suite accepté de suivre l’aventure. Nous étions six dans le jury de départ. Nous sommes 15 aujourd’hui !

Le prix est à sa 11ème édition et c’est toujours aussi passionnant de découvrir de nouveaux ouvrages.

Notre jury est composé de personnes d’horizons très différents. Il change régulièrement avec cinq personnes permanentes qui en sont le socle et des personnes invitées pour un an (maximum deux ans). Il faut fournir un véritable travail de lecture et avoir un vrai intérêt pour la littérature gastronomique, nous avons trois réunions annuelles autour d’un déjeuner, La cohésion du jury est très importante même si nous avons chacun notre avis. L’harmonie est essentielle

 

 Y a-t-il une œuvre, une citation ou une figure artistique qui taccompagne dans ton travail ?

Il y en a tellement. Dans la littérature française, Colette George Sand et Albert Camus sont mes idoles, Marguerite Yourcenar reste une sublime inspiration et Hervé Le Tellier dont je trouve les écrits particulièrement savoureux puisque l’on y retrouve souvent la cuisine entre les lignes, Proust bien sûr mais également Brillat Savarin et Antonin Carême.

Dans la littérature arabe Naguib Mahfouz et Mahmoud Darwich, Sâadi et Omar Khayyam.

Il y a une citation en particulier que j’aime beaucoup chez Mahmoud Darwish. Je l’avais choisie pour introduire « Goûts du Liban » dans laquelle il dit que « La terre se transmet comme une langue ». J’y pense à chaque fois que je confectionne un plat ou que je raconte l’histoire d’un plat, à mes petits-enfants.

Transmettre les traditions de la table d’un pays, c’est transmettre sa terre, son terroir, ses goûts et ses saisons.

Dans les trésors des archives de ma maison natale à Alep (devenue centre culturel aujourd’hui), j’avais découvert un livre tiré du premier manuscrit connu en cuisine, écrit par Ibn el Adim, auteur du 13 siècle qui avait vécu à Alep. Le titre, Kitāb al-Wuṣla ilā al-Ḥabīb, évoque l’être aimé, et portait déjà en lui, tout un programme.  L’ouvrage contenait beaucoup de recettes anciennes parfois décrites en une seule ligne. Il mêlait littérature, culture, et cuisine, de façon très fine avec un regard très juste et élégant sur les plaisirs de la table.

Il m’arrive d’y puiser des inspirations et de croiser les récits des recettes avec les ingrédients d’aujourd’hui. Et puis bien sûr, je ne peux oublier de citer, la cuisine de Ziryab de Farouk Maryam Bey dans la collection Sindbad et plusieurs autres livres de la même collection chez Actes Sud

 

 

 

 

Leïla Aoujdad

Leïla Aoujdad a fondé l’association Femmes et Diversité, un projet né de son engagement pour la reconnaissance des identités plurielles et la lutte contre les stéréotypes. Elle est  directrice d'Aleph Conseils, un cabinet spécialisé en RSE et expert en empowerment féminin.  Elle anime également un bookclub, où elle donne la parole à des auteures qui explorent, à travers l’écriture, les enjeux liés aux expériences féminines.

Son travail interroge les représentations, célèbre les parcours de résilience, et crée des espaces de transmission et de sororité. Leïla tente de construire des ponts entre les cultures, les générations et les récits. Elle a notamment réalisé le documentaire Les Tisseuses, qui explore les enjeux de corps, de droits et de mémoire.

 

Comment est née l’idée de créer Femmes et Diversité et quel a été le déclic personnel derrière ce projet ?

L’idée est née de mon vécu et de mes rencontres. J’ai souvent constaté que la parole des femmes issues de la diversité, malgré leur richesse et leur force, restait en marge du récit collectif. Le déclic a été le désir profond de créer un espace où elles puissent être visibles, audibles et reconnues, non pas comme des exceptions mais comme des actrices essentielles de notre société. 

Femmes et Diversité est née de cette conviction : que nos histoires individuelles ont une puissance universelle lorsqu’elles sont partagées.

 

Ton documentaire Les Tisseuses aborde des sujets sensibles, comment as-tu choisi les femmes à mettre en lumière ?

J’ai choisi des femmes qui, chacune à leur manière, portent une lumière dans leur quotidien. Des femmes ordinaires, mais qui révèlent une force extraordinaire lorsqu’elles racontent leurs parcours. J’ai voulu montrer la diversité des trajectoires, des origines, des luttes et des rêves, afin que chacun.e puisse s’y reconnaître, s’y inspirer, ou simplement se laisser toucher par leur humanité. Je crois à la force de l'image et des récits pour changer le regard, c'est donc dans cette optique que je me suis lancée dans cette aventure cinématographique !

 

Le bookclub est très actif, pourquoi avoir choisi la littérature comme vecteur de transmission ?

Parce que la littérature est un miroir mais aussi une fenêtre. Elle permet à la fois de se reconnaître et de découvrir d’autres mondes. Elle offre un espace de réflexion, de dialogue, parfois de réparation. Choisir la littérature dans toute sa diversité (poésie, conte, roman, etc.), c’était choisir un langage universel, capable de relier des personnes très différentes autour d’une même émotion ou d’une même idée.

 

Quels obstacles as-tu rencontrés en tant que femme réalisatrice et fondatrice d’association ?

Comme beaucoup de femmes, j’ai dû affronter le doute des autres, mais aussi parfois le mien. Le manque de moyens, la difficulté de se faire une place dans des milieux encore très fermés, et l’équilibre entre vie personnelle et engagement ont été des défis constants. Mais chaque obstacle a renforcé ma détermination et m’a rappelé pourquoi il était essentiel de continuer.

 

 Si tu pouvais adresser un message à toutes les jeunes filles qui doutent d’elles-mêmes, que leur dirais-tu ?

Je leur dirais : ton doute est normal, mais ne le laisse pas te paralyser. Comme dirait une jeune fille dans mon fil "N'écoute pas ceux qui te condamne à l'échec" Derrière chaque peur se cache une force en devenir. Tu es bien plus puissante que tu ne l’imagines, et chaque pas que tu oses faire, même petit, est déjà une victoire. Crois en ton intuition, elle sait où t’emmener et elle te fera rencontrer les meilleures personnes pour t'accompagner.

 

Peux-tu partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire particulièrement ?

Une phrase que je garde toujours en tête : « Ce que tu fais pour toi-même disparaît avec toi, ce que tu fais pour les autres reste et devient immortel. » C’est un rappel que notre véritable héritage réside dans ce que nous transmettons.

 

 

Liens utiles

"Le pouvoir d'agir des femmes par l'image et les récits inspirants"

Femmes & Diversité - Leila Aoujdad - YouTube

 

Un film documentaire

Les Tisseuses - bande annonce - YouTube

 

Médias

Leila Aoujdad - association Femmes et Diversité en replay - Vous êtes formidables - Auvergne Rhône Alpes | France TV

 

Leila Aoujdad – Femmes des territoires

 

Pour nous soutenir

https://linktr.ee/femmesetdiversite

 

L’art tactile, une démarche qui a du sens.

Chantal Rubio, fondatrice de l’association Pourquoi pas moi CLAIR ? milite depuis plusieurs années pour une société plus équitable et ouverte à tous. Installée en Ariège, elle est également référente inclusion pour la Fédération Léo Lagrange de Toulouse, accompagnant une dizaine de CLAE (sur 28) dans l’accueil d’enfants à besoins éducatifs particuliers. C’est une femme au charme solaire, qui me parle avec un accent chantant du Sud-Ouest. Elle ne contourne aucune question, évoque avec une franchise désarmante ce qui l’attend dans quelques mois : une cécité complète. Touchée par une malvoyance liée à une myopie évolutive dégénérative, associée à un glaucome, Chantal voit sa vision décliner irrémédiablement. Elle a conscience qu’elle perdra totalement la vue dans un avenir proche.

 « J’ai toujours su depuis l’enfance qu’un jour je ne verrai plus. Je me suis toujours dit : si les autres y arrivent, pourquoi pas moi ? Ma maman s’est battue pour moi. Depuis toute petite, je fais fi des obstacles. Mais aujourd’hui, le couperet est tombé, la cécité n’est plus une hypothèse, c’est une certitude qui sera-là dans 6 à 8 mois. »

 

Son parcours professionnel l’a aidée à apprivoiser la peur liée à la perte de la vue. Elle parle de résilience, nourrie par les échanges avec d’autres personnes déficientes visuelles.

 

« J’ai annoncé à mes équipes que j’allais devenir aveugle. Je veux leur soutien, pas leur compassion. »

 

Chantal rappelle que la moitié des personnes malvoyantes sont sans emploi, souvent par crainte pour leur sécurité ou faute d’aménagements adaptés. Elle invite à prendre exemple sur les pays scandinaves ou la Belgique, où l’inclusion est pensée de manière plus pragmatique.

 

 « Les lois et les décrets existent, mais leur application sur le terrain reste laborieuse. Parfois, quelques ajustements suffiraient. »

 

L’art tactile, une démarche qui a du sens.

 

Infatigable, Chantal Rubio multiplie les initiatives. L’une d’elles lui tient particulièrement à cœur : un projet photographique tactile né d’une rencontre fortuite avec Marie Colombie, artiste plasticienne engagée, lors du festival du film de Luchon en 2017, organisé la Fédération des Aveugles et amblyopes de France. Originaire du Tarn, Marie Colombie défend une approche sensorielle et inclusive de l’art. Son initiative Jusqu’au bout de nos doigts réunit photographes professionnels et personnes déficientes visuelles autour d’œuvres sculptées et tactiles. Reçue au ministère de la Culture, son travail a été salué pour sa capacité à faire tomber les barrières de la différence. Sa devise est la suivante :

« Je souhaite que chacun puisse trouver sa place, vivre et exister ensemble avec nos différences, sans différence. Ce sont les différences qui font la richesse de l’humanité. »

Chaque exposition invite les visiteurs, qu’ils soient voyants ou non, à participer à des ateliers immersifs. Dans l’un d’eux, ils sont conviés à plonger dans le noir, à explorer les œuvres par le toucher, et à les faire décrire par des personnes malvoyantes. Cette démarche poétique évoque la célèbre phrase de Saint-Exupéry : « On ne voit bien qu’avec le cœur. » Les ressentis se partagent, les émotions circulent, et les enfants, notamment, s’enthousiasment pour cette expérience sensorielle hors du commun.

Aux côtés de Chantal et Marie, Marianne Pradère joue un rôle essentiel. Chargée de mission et photographe, elle est engagée auprès de l’association Pourquoi pas moi, CLAIR ? , récemment distinguée par le Trophée régional de l’innovation sociale pour ses actions en faveur de l’autonomie des personnes malvoyantes et dys. Elle anime des ateliers de compensation (cuisine, hortithérapie, etc.) qui permettent aux participants de renforcer leur autonomie au quotidien. Elle a également contribué par ses clichés au projet d’art tactile, une expérience qui a profondément transformé son regard artistique :

« Il y a un terme que nous utilisons entre nous pour décrire l’exposition : des photos qui sortent du cadre », confie Marianne. « À l’époque, j’étais correspondante pour un quotidien local et je couvrais toutes les actions de l’APPM. En parallèle, j’étais photographe indépendante. En 2013, Chantal est venue me voir pour que je fasse prendre des photos aux adhérents avec déficience visuelle.  Je n’ai pas réfléchi, j’ai dit oui, sans assurer mon appareil photo ! » Elle concède  : « J’étais trop technique. Il n’a fallu que deux séances pour que je comprenne comment les participants fonctionnaient. Avec l’enregistrement des ressentis de chacun à chacune de leur prise de vue, et au vu des résultats, j’étais particulièrement frustrée que les apprentis photographes ne voient pas leurs photos. »

Ce n’est qu’en 2020, après une reconversion professionnelle liée à l’aggravation de son propre handicap (malentendante et atteinte d’un trouble de l’équilibre dû à une dégénérescence de l’oreille interne), que Marianne intègre officiellement l’association en tant que chargée de missions. Discrète, elle préfère rester en retrait. « Je suis plus dans la logistique et la technique, en tant que guide pour les personnes avec déficience visuelle. »

Entre Chantal, Marie et Marianne, s’est tissé un lien profond, fait de respect, de bienveillance et d’engagement. Chacune, à sa manière, contribue à bâtir une société plus inclusive, où l’art devient un langage commun, accessible à tous. Leur collaboration, nourrie par l’écoute et la solidarité, redéfinit les contours de l’inclusion. Comme le résume avec justesse Marianne : « grâce aux remarques et conseils des adhérents et de Chantal, Marie a fait évoluer son travail. C’est un art nouveau, qui n’existe pas. Aujourd’hui, on fait des repros de photos en 3D avec une imprimante 3D. Ce que fait Marie, personne ne le fait, pas comme elle le fait. »

Un art qui sort du cadre, à l’image de ces femmes qui, ensemble, repoussent les limites du possible.

Guerziz Naima

 

Nom complet de l’association :

Association Pourquoi pas moi, CLAIR André Montané

Abréviations :

C.L.A.I.R : Centre Local Autonomie inclusion et réadaptation, pour l’Inclusion et l’Accompagnement des personnes en situation de handicap visuel et multiDys.

APPM : Association Pourquoi Pas Moi

Selma Bensouda

Modératrice littéraire, médiatrice culturelle et programmatrice artistique franco-marocaine, le travail de Selma Bensouda se situe à la croisée des livres, de l’histoire de l’art et de la transmission. Elle intervient dans de nombreux festivals et événements littéraires en France et à l’international, où elle anime des rencontres autour de la littérature marocaine et francophone.

Elle est également créatrice de capsules vidéo sur l’histoire du Maroc, et anime le podcast "Marocains du monde", qui donne la parole à des figures marocaines de la diaspora.

Sur Instagram, elle partage ses coups de cœur littéraires dans une chronique sensible et engagée intitulée "Le Calame de Salma", où elle met en lumière des ouvrages souvent méconnus, des voix féminines, et des réflexions sur la mémoire, l’exil et la création.

 

Le Calame de Salma est un espace littéraire apprécié sur Instagram. Comment choisis-tu les livres que tu y présentes ?

Par coup de cœur généralement, ou alors lorsqu’un livre a été très instructif et mérite d’être partagé au plus grand nombre. J’ai cette chance de lire beaucoup, toutes sortes de livres : ma préférence va aux romans, mais je suis amenée à lire des essais ou documents en rapport avec les capsules Histoire que je produis.

 

Tes capsules sur l’histoire du Maroc revisitent des épisodes souvent oubliés. Comment construis-tu ces récits ?

Cette aventure a commencé par des recherches que j’avais faites sur le protectorat pour un autre projet, et j’ai réalisé à quel point on connaissait peu notre histoire. Sans savoir si j’étais la seule dans ce cas, j’ai commencé par publier une première vidéo avec le contenu que j’avais, qui a bien fonctionné et qui m’a confirmé dans cet intérêt partagé que nous, Marocains, avons pour notre histoire et notre patrimoine et qui, souvent, sont peu accessibles hors parcours ou publications académiques. Ensuite, c’est au gré de mes lectures, des podcasts que j’écoute, ou parfois même des gens qui m’écrivent pour me donner des idées. J’effectue des recherches poussées, je ne publie jamais rien qui ne sont historiquement fiable ou sourcé, j’écris un script court et ludique, puis je tourne avec mon iPhone.

 

Ton podcast "Marocains du monde" donne la parole à des voix diasporiques. Quel est le fil rouge de ces témoignages ?

Clairement, le rapport au Maroc : qu’est-ce qu’il représente depuis qu’on est partis, est-ce que notre sentiment envers lui a changé, comment le ressent-on et qui est-on par rapport à lui. Moi-même étant en France depuis plus de vingt ans, je me questionne constamment sur le rapport que j’ai avec le Maroc, la nostalgie qui peut parfois idéaliser ce qu’on a quitté, le manque des siens, le sentiment de l’aimer plus parce que justement on est partis, peut-être pour mieux lui revenir qui sait, puis la légitimité à parler de lui lorsqu’on est loin.

 

Comment conçois-tu ton rôle de modératrice littéraire dans des festivals comme celui du Livre de Paris ?

Comme une opportunité d’échanger avec les autrices et auteurs sur leur conception de la littérature, et ce qu’ils mettent d’elles et d’eux dans leurs livres. C’est toujours très enrichissant.

 

Quels sont tes prochains projets ou rêves culturels que tu aimerais concrétiser ?

Il y en a tellement ! J’essaye de prioriser selon ce qu’il est réaliste et possible de faire. En ce moment, je rêverais de sillonner le Maroc pour filmer sur place des capsules historiques. J’aimerais aussi beaucoup construire des projets avec les acteurs culturels sur place autour du patrimoine et de l’histoire, rouvrir certains lieux historiques en lieux culturels, travailler sur la réhabilitation des médinas d’un point de vue culturel et à l’accessibilité de la culture en général.

 

Y a-t-il une œuvre, une citation ou une figure artistique qui t’accompagne dans ton travail ?

Un peu longue comme citation, c’est plutôt un extrait de Léon l’africain d’Amin Maalouf :

Moi Hassan fils de Mohamed le Peseur, moi, Jean-Léon de Médicis, circoncis de la main d'un barbier et baptisé de la main d'un Pape, on m'appelle aujourd'hui l'Africain... On m'appelle aussi le Grenadin, le Fassi, le Zayyati, mais je ne viens d'aucun pays, d'aucune cité, d'aucune tribu. Je suis fils de la route, ma patrie est caravane, et ma vie est la plus inattendue des traversées.

Mes poignets ont connu tour à tour les caresses de la soie et les injures de la laine, l'or des princes et les chaînes des esclaves. Mes doigts ont écarté mille voiles, mes lèvres ont fait rougir mille vierges, mes yeux ont vu agoniser des villes et mourir des empires.

De ma bouche tu entendras l'arabe, le turc, le castillan, le berbère, l'hébreu, le latin et l'italien vulgaire, car toutes les langues, toutes les prières m'appartiennent.

Mais je n'appartiens à aucune. Je ne suis qu'à Dieu et à la terre, et c'est à eux qu'un jour, je reviendrai.

Et tu resteras après moi, mon fils. Et tu porteras mon souvenir. Et tu liras mes livres. Et tu reverras alors cette scène : ton père, habillé en Napolitain sur cette galée qui le ramène vers la côte africaine, en train de griffonner, comme un marchand qui dresse son bilan au bout d'un long périple.

Mais n'est-ce pas un peu ce que je fais : qu'ai-je gagné, qu'ai-je perdu, que dire au Créancier suprême ? Il m'a prêté quarante années, que j'ai dispersées au gré des voyages : ma sagesse a vécu à Rome, ma passion au Caire, mon angoisse à Fès, et à Grenade vit encore mon innocence.

 

Clémentine Domptail

Clémentine Domptail est une artiste aux multiples facettes : comédienne, auteure, voix off. Elle s’est formée dans plusieurs écoles de théâtre, notamment celle du Mime Marceau et auprès de Vladimir Ananiev, maître de dramaturgie corporelle au GITIS de Moscou. Elle débute au cinéma dans La Chambre obscure (1999) et Petites misères (2000), puis s’impose à la télévision avec des rôles marquants dans Mon vrai père, Avocats et Associés, et surtout Plus belle la vie, où elle incarne Patricia Estève, un personnage attachant qui lui vaut la reconnaissance du grand public. En parallèle, elle développe une carrière dans le théâtre avec la compagnie El Vaïven, prête sa voix à des livres audio pour Audiolib, et réalise des projets personnels comme le conte pour enfants Eliazar, l’Oiseau Rare. Sa sensibilité artistique et son engagement dans des récits forts font d’elle une figure singulière du paysage culturel français.

 

Clémentine, quel a été le déclic pour devenir comédienne ? 

Je ne me sentais pas vraiment à ma place à l’école, je me sentais très différente. Ce sont mes parents qui m’ont encouragée à prendre un autre chemin. Alors j’ai commencé le théâtre, et sur un plateau, je me sentais mieux, plus proche de l’“être”… Très vite, j’ai compris que j’avais besoin d’évoluer dans le milieu artistique, d’être dans la créativité.

 

Tu as joué dans Plus belle la vie. Que retiens-tu de cette expérience ? 

Beaucoup de plaisir ! Que du plaisir ! C’est une aventure humaine et professionnelle incroyablement riche. J’ai énormément appris. Le rythme est intense : il faut être très réactif et donner le meilleur de soi rapidement. Et puis, cela laisse de très beaux souvenirs, car c’est une série qui a marqué énormément de gens.


Le théâtre ou l’écran : où te sens-tu le plus libre ? 
Sur scène, il y a l’adrénaline du direct, l’énergie du public, c’est un moment unique. Une fois lancée, on va jusqu’au bout, quoi qu’il arrive. Sur un plateau de tournage, les scènes sont découpées et souvent tournées dans un ordre décousu. La caméra capte tout, ce qui demande une autre forme de précision, concentrée en quelques prises pour chaque séquence. J’aime les deux : ce sont deux expériences magiques qui exigent d’être pleinement dans le présent. Deux libertés différentes, mais profondément complémentaires.

 

Tu prêtes ta voix à des livres audio. Qu’est-ce qui t’attire dans cet exercice ? 

Livre audio, documentaire, voice-over, post-synchronisation… Le domaine vocal est vaste. Mais oui, beaucoup de livres, et j’adore cet exercice. Jouer avec sa voix, la moduler, créer des atmosphères, incarner à la fois la narratrice et les personnages, guider l’imaginaire, créer une proximité avec l’auditeur pour lui transmettre une histoire,  c’est passionnant. Comme tout travail exigeant, cela demande beaucoup d’énergie et de concentration, mais j’y prends énormément de plaisir.

As-tu un conseil pour les jeunes artistes ? 


Je crois que l'essentiel est de vraiment  croire en soi, de bien s’entourer et de persévérer.

Peux-tu nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire ?
J’aime me répéter : “Crois en toi, crée ta propre réalité… TOUT est possible.” Il y a une citation qui s’en rapproche et que j’aime beaucoup : « Crois en tes rêves et ils se réaliseront peut-être. Crois en toi et ils se réaliseront sûrement. »  Martin Luther King Jr. Et j’apprécie aussi celle d’Oscar Wilde : « Il faut viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles. »

Hyam Zaytoun

Hyam Zaytoun est une comédienne, scénariste et autrice française au parcours éclectique et profondément engagé. Formée au Conservatoire national supérieur d’art dramatique après des études littéraires, elle s’est illustrée au théâtre, au cinéma et à la télévision, notamment dans Le Bureau des Légendes, Un Village Français, Riviera ou The Spy.

Mais Hyam Zaytoun est aussi une voix littéraire singulière. Son premier roman, Vigile (Le Tripode, 2019), est un récit poignant sur la fragilité de la vie et la puissance de l’amour. En 2025, elle publie Les femmes afghanes n’ont plus le droit de chanter (Buchet Chastel), un texte engagé et poétique qui donne voix à celles que l’on réduit au silence.

 

Ton parcours mêle théâtre, cinéma et écriture. Comment ces disciplines nourrissent-elles ton regard sur le monde ?

Je pense que chacune de ces disciplines me permet de médiatiser le monde qui m’entoure, et de m’intéresser à des sujets auxquels je ne suis pas forcément sensibilisée. J’aime voir s’incarner des idées sur scène. J’aime que des voix, des visions différentes se confrontent. Qu’il y ait du corps, de l’émotion et en même temps de l’invisible, du politique et du philosophique. J’ai toujours voulu écrire, mais avec la peur de manquer de recul, d’être prisonnière de ma seule intimité. Le théâtre a été, et est toujours, une formation et une inspiration. J’adore aussi voir à l’œuvre l’invention, la créativité, me dire qu’on peut faire tant avec souvent peu de moyens.

Le cinéma m’inspire beaucoup aussi, mais en tant que spectatrice j’ai bien moins de recul. Je me fais immédiatement happer par l’histoire, les personnages. Idem pour les séries : je trouve qu’il y a vraiment des bijoux aujourd’hui et je pense très souvent au travail romanesque lorsque je plonge dedans. En somme, une forme de catharsis pour moi.

Lorsque je travaille comme comédienne, alors c’est une autre expérience : celle du jeu, de l’empathie mise au service du rôle, une forme d’ouverture à d’autres altérités. C’est sans doute – et je crois que c’est pour cela que j’aime tant ce métier – ce qui me donne l’impression de pouvoir vivre « d’autres vies… »

Et puis, oui, l’écriture, mais avant tout déjà la lecture. Cette expérience du silence. Et comment les mots font advenir de la conscience, comment ils peuvent toucher, éclairer, être si puissants finalement… Et donc peut-être, oui, changer la vie.

 

Ton nouveau texte sur les femmes afghanes est très engagé. Comment est née cette urgence d’écrire ?

Comme je le raconte au début de mon livre, mon engagement féministe, disons officiel, est finalement assez récent. Mais il m’a permis d’emblée de faire la connaissance de beaucoup de femmes inspirantes, qui m’encouragent, me font croire à l’idée d’une sororité. Parmi elles, une amie, dont l’appel et l’émotion quant à la situation des femmes afghanes, m’ont touchée et poussée à me questionner.

C’est d’abord son appel, sa voix justement, qui sont venus me chercher. Ils ont fait céder une forme d’indifférence et d’ignorance. J’ai voulu écouter, découvrir, et puis porter ma voix… Peut-être aussi parce que, d’une façon étrange et qui m’interrogeait, cette idée d’être empêchée de chanter, de parler, d’exprimer des émotions, des idées, m’est à la fois familière et insoutenable. Peut-être parce qu’en tant que femme, c’est une expérience – en tout cas, un héritage – qu’on a…

 

Comment choisis-tu les projets artistiques auxquels tu participes ? Y a-t-il un fil rouge dans tes choix ?

Ce sont d’abord des rencontres. J’ai besoin d’humanité, de douceur, mais aussi de finesse et d’exigence. J’ai la chance – et j’ai aussi pris cette décision – de pouvoir refuser certaines propositions, parce que j’ai plusieurs casquettes : je joue, j’écris, et j’enseigne le théâtre. De pouvoir m’associer à des projets dont les idées et la façon d’œuvrer me parlent. Ou, au contraire, me poussent à sortir de ma zone de confort. Mais toujours dans la bienveillance, l’écoute, le respect.

 

Y a-t-il une scène, au théâtre ou à l’écran, qui t’a transformée en tant qu’artiste ?

Je suis persuadée d’être régulièrement transformée, mais pas forcément d’une façon consciente. Souvent, au détour d’un moment de vie, ces œuvres, ces scènes me sont rappelées. C’est plutôt dans ce sens-là que ça arrive.

Je dirais que l’œuvre de Tchekhov (en l’occurrence Platonov), montée par Claire Lasne, il y a plusieurs années, m’a énormément touchée. Je me suis dit qu’on pouvait mettre véritablement l’entièreté de son être, de sa personnalité, de ses fragilités, ses idéaux et ses luttes intérieures et extérieures au service du jeu. Mais plus largement, aussi, au service de l’art et des autres, qu’il y a de la générosité à être artiste… Même si j’ai souvent tendance à penser qu’on est privilégié de pouvoir vivre cette vie-là. Que c’est beaucoup à nous d’avoir de la reconnaissance envers celles et ceux qui veulent bien s’intéresser à ce qu’on fait !

 

Quel rôle joue la mémoire dans ton écriture ?

La question du temps en général m’intéresse beaucoup. J’admire les auteur.ices qui arrivent à intégrer cette donnée avec créativité dans leurs œuvres. J’aime l’idée aussi, qui est en train d’être explorée par les scientifiques, d’un temps quasi quantique. Que passé, présent, futur sont bien plus complexes qu’on imagine. Imaginer qu’une multitude de possibilités s’y déploie…

En ce qui concerne mon travail, je dirais que le souvenir y joue un rôle important. Au sens où, dans chacun de mes livres (VigileLes Femmes afghanes n’ont plus le droit de chanter, mais aussi J’apprends l’arabe, un feuilleton-radio écrit pour France Culture), il s’agit de récits : pouvoir revisiter le réel, lui donner une direction, un sens, composer avec…C’est la mémoire, ce désir de ne pas oublier, mais aussi ses failles, ses angles morts, qui permet la création. Comment faire avec ce qu’on oublie, ou ce qu’on ne saura jamais ? Est-ce que ce n’est pas ça le plus émouvant souvent, dans un récit ?

 

Peux-tu nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire ?

Il y a cette phrase de Giacometti (qui est aussi le titre du petit livre dont elle est extraite) que je trouve magnifique :

« Je ne sais ce que je vois, qu’en travaillant. »

 

Amira Benbetka

Amira Benbetka est une jeune femme de lettres dont la plume, s’impose avec finesse dans le paysage littéraire contemporain. Traductrice et autrice prolifique, elle explore des genres variés, du conte au roman historique, en passant par le fantastique et la romance, avec une sensibilité marquée par les enjeux sociaux, la mémoire collective et les voix invisibilisées.

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Ilham Moustachir

Femme politique française engagée dans la vie locale et territoriale, Ilham Moustachir a été vice-présidente d’une communauté d’agglomération regroupant 42 communes. Pendant plus de douze ans, elle s’est investie dans les domaines de l’emploi, de l’insertion professionnelle, de la cohésion sociale et, surtout, du développement économique. Elle vient d’être nommée secrétaire générale de l’Observatoire de la diversité, une structure qui œuvre pour une meilleure représentation des parcours, des identités et des voix minorées dans les sphères publiques, culturelles et politiques. À travers ce rôle, elle poursuit son engagement en faveur d’une société plus inclusive et équitable.

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Nour Cadour

On peut être plusieurs désirs, plusieurs envies, Nour Cadour médecin nucléaire de profession, poétesse, romancière en est un exemple.  Elle conjugue science et sensibilité artistique avec une rare intensité. Son œuvre explore les silences, les exils, les voix oubliées, notamment celles des femmes à travers le monde. Elle est l’autrice du roman L’âme du luthier (Hello Éditions, 2022), finaliste du Prix Livre Europe-Méditerranée, et de plusieurs recueils de poésie primés, dont Larmes de lune et Le silence pour son. Nour Cadour est également très active dans la scène poétique contemporaine, organisant des lectures et des événements littéraires à Paris, Bruxelles et ailleurs.

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