
On peut être plusieurs désirs, plusieurs envies, Nour Cadour médecin nucléaire de profession, poétesse, romancière en est un exemple. Elle conjugue science et sensibilité artistique avec une rare intensité. Son œuvre explore les silences, les exils, les voix oubliées, notamment celles des femmes à travers le monde. Elle est l’autrice du roman L’âme du luthier (Hello Éditions, 2022), finaliste du Prix Livre Europe-Méditerranée, et de plusieurs recueils de poésie primés, dont Larmes de lune et Le silence pour son. Nour Cadour est également très active dans la scène poétique contemporaine, organisant des lectures et des événements littéraires à Paris, Bruxelles et ailleurs.
Ton parcours est à la croisée de la médecine et de la poésie. Comment ces deux univers dialoguent-ils en toi ?
Ces deux univers se rejoignent sur un lien indéfectible : l’humanité qui est mise au centre de la médecine ou de l’écriture. Par humanité, j’entends être humain. Placer l’être humain au sein de ces deux passions. En médecine, à travers l’empathie. Se mettre à la place de l’autre. Écouter et comprendre la souffrance pour mieux l’accompagner. En poésie, à travers son rapport au monde. Explorer ce qui anime l’être humain (émotions, sensations, sensibilité) mais aussi ce qui le caractérise dans son rapport à ce qui l’entoure.
Pour moi, tout l’espoir du monde réside en cela. En nous tous. Tant qu’il y aura de l’humanité, il y aura de l’espoir.
En revanche, la pratique de ces deux univers est différente. Dans ma spécialité, nous travaillons en équipe et c’est ce que j’aime au quotidien en médecine. A l’inverse, la création littéraire au sens propre (le moment où on s’installe et commence à écrire) est assez solitaire, malgré l’ouverture au monde qui nous entoure. J’aime avoir cet équilibre dans ma vie.
Comment naît un poème chez toi ? Est-ce un cri, une méditation, une image ?
La poésie naît chez moi souvent suite à un état émotionnel (de beauté, de contemplation) mais aussi suite à un cri qui m’importe de dénoncer.
Ma poésie n’est pas silencieuse. Si je n’ai rien à dire ou partager, je n’écris pas. Je ne force jamais la création poétique.
J’aime particulièrement écrire le matin tôt au réveil, ou aussi après une marche à travers la nature éveille mes sens et me rend plus perceptive au monde environnant.
La poésie est comme une religion pour moi. J’ai des « rituels poétiques ». Je commence et finis toujours mes journées par la lecture d’un poème.
Quel rôle joue l’engagement dans ton travail artistique ?
Pour moi, l’engagement est indissociable de l’art. Je pense que les artistes, à travers la vision du monde qu’ils nourrissent et portent, sont imprégnés d’un engagement.
Mon engagement est surtout tourné sur la place de la femme, essayer de faire entendre et de faire comprendre ce qu’une femme peut endurer ou combattre dans une société majoritairement patriarcale.
L’autre engagement que je prône est comment l’art en lui-même est un acte de résistance. Je pense et suis persuadée que l’art peut faire changer les choses. Ce n’est pas pour rien que les artistes sont les premières personnes emprisonnées sous les régimes dictatoriaux.
Si tu pouvais offrir un seul de tes textes à une personne qui ne te connaît pas, lequel choisirais-tu et pourquoi ?
Je lui offrirai le poème « Ma belle Damas endormie », paru aux éditions L’Appeau’Strophe.
Je me souviens parfaitement du moment où ce poème a été écrit, sur un banc de Damas, après une longue balade à travers la vieille ville.
Je me souviens de l’état émotionnel dans lequel j’étais, entre le rêve, l’extase et la réalité.
Aussi, c’est un poème qui rend bien compte de mon style poétique sensoriel.
Ma belle Damas endormie.
Ô Damas ma belle endormie
Rues humides aux rimes polychromes,
Pistaches émiettées sur tes lèvres
Jasmin ruisselant sur ton cou matinal
Cardamome poudrée sur tes joues corolle,
Ô Damas ma belle endormie
Aux milles délices noyés de brume
Aux milles supplices perdus en lune,
Quand il m’arrive de me perdre dans tes artères fleuries
Comme unique boussole la saveur du pain chaud
Mes semelles de poussière en guise d’ailes,
la trace de mes doigts cherche dans tes
Quartiers lumineux
tes courbes sensuelles d’humanité
doublées par le soleil,
Les murmures de ta langue
Au goût de miel d’aube
Et, ébahie, ma belle Damas endormie,
J’ai vu tes fleurs causer au vent
J’ai vu tes murs questionner le ciel
Parfois sombre, parfois clair,
Mais, de toi, ma belle Damas endormie
Ne restera à jamais sur mes lèvres
L’unique goût voluptueux de tes rêves
Quel message adresserais-tu à ton toi d’enfance à propos de ton parcours de vie ?
C’est une très belle question à laquelle je n’ai jamais pensé.
Je dirais à ce moi enfant que je suis heureuse de n’avoir jamais cessé de m’émerveiller, d’avoir cru en nos rêves et d’avoir mis tout en place pour essayer d’y accéder.
Je lui dirais aussi que ce qui compte n’est pas la destination finale mais le chemin parcouru pour parvenir à ce que l’on souhaite.
Je lui dirais enfin que la vie est un grand jeu d’expériences, des bonnes comme des mauvaises, mais que nous sommes toujours debout.
Peux-tu nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire ?
« Quand chacun des instants de ma vie va vers l'amour, l'amour peut trouver sa vie dans chacun de mes instants. »
Djalâl Al-Dîn Rûmi
L’amour nous entoure et est partout, à travers les êtres humains, la nature, les animaux. Porter un regard amoureux sur les choses ouvre le cœur, les voies des possibles et de la sensibilité. Les politiques nous font croire que les différences culturelle, religieuse, sociétale sont à l’origine du chaos. Mais nous sommes tous les mêmes. Cultiver l’amour de l’autre et porter l’amour dans un monde qui se déchire est un acte de résistance et de courage.
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Commentaires
Bravo et merci pour cette interview de Nour Cadour , poétesse et médecin , si large d esprit , si précieuse incarnation d' intelligence humaine , de sagesse et de poésie ,
signé: Catherine , mosaïste et poète de La Petite Galerie, Rouen , France